La direction de Libération a annoncé un big bang pour le journal : elle veut supprimer 93 postes, environ un tiers des effectifs, et révolutionner toute l'organisation ainsi que les contrats de travail.

Lors d'un comité d'entreprise lundi matin, puis devant les salariés réunis au complet, dans un lourd silence, les nouveaux dirigeants ont détaillé leur plan pour faire de Libération un groupe multimédia rentable, «normal», avec une priorité au web.

Hasard du calendrier, Le Monde présente aussi lundi en comité d'entreprise un plan de mutation ambitieux, axé sur le numérique, mais il s'est engagé à le faire à effectifs constants.

Décision la plus radicale à Libération : la suppression de 93 postes (81 CDI et 12 CDD) sur 250, dont une cinquantaine dans la rédaction qui passera de 180 à 130 journalistes, la coupe la plus massive dans l'histoire du quotidien fondé par Jean-Paul Sartre. «Une décision inévitable pour sauver le journal», a déclaré Laurent Joffrin. Parallèlement onze postes seront créés.

Cette réduction doit permettre au journal de redevenir rentable en 2015.

Libération va aussi changer complètement de fonctionnement éditorial : la rédaction sera unifiée entre papier et web, les journalistes devront écrire des «magazines à chaud», les services traditionnels (étranger, France, économie...) seront réorganisés en «pôle multimédias» (Planète, Futurs, Idées, Pouvoirs, Tendances, Culture) qui auront chacun leur site en ligne, sous la bannière Libération.

Autre révolution, la remise à plat de tous les contrats de travail et le licenciement de ceux qui refuseront les nouvelles conditions, revues dans une optique «d'entreprise normale» et de rentabilité.

À partir du 18 janvier, les salariés, journalistes et non-journalistes, se verront proposer un nouveau contrat de travail unique, qui reverra notamment les rémunérations, et mettra en place une «rémunération variable en fonction des objectifs» - expression qui a fait ricaner des salariés.

Au programme également des «entretiens annuels, comme dans une entreprise normale» et une «clause de non-dénigrement», pour éviter les critiques publiques de la rédaction contre la direction, comme celles affichées dans les pages du journal lors de l'arrivée des nouveaux dirigeants il y a 6 mois.

La direction veut réduire le nombre de RTT et lancera en octobre des négociations sur ce sujet.

Ceux qui refuseront ce nouveau contrat seront licenciés, a indiqué François Moulias. Ils auront un mois pour se décider.

La suppression de 93 postes permettra «huit millions d'euros d'économie par an», a précisé le directeur opérationnel Pierre Fraidenraich à L'Express. «Il n'y pas aujourd'hui d'autre alternative. Libération est au bord du gouffre».

Libé perd 22 000 euros par jour

«Libération perd 22 000 euros par jour. Nous devrons rapidement faire appel aux actionnaires. Il nous faut rationaliser la production journalistique», a expliqué le n° 2 de la rédaction Johan Hufnagel.

Dernier signe d'un changement d'époque, la rédaction devra déménager «dans la petite couronne» au 1er semestre 2015 et quitter l'immeuble en colimaçon de la rue Béranger, au coeur de Paris.

La direction a dit éviter au maximum les départs contraints, via le plan de départ volontaire pour les non-journalistes, la clause de cession ouverte aux journalistes et l'obligation d'adhérer au nouveau contrat de travail.

Liée au dernier changement d'actionnaires, la clause de cession ouverte jusqu'au 30 novembre n'a jusqu'ici attiré qu'une douzaine de candidats, la plupart des salariés attendant ces annonces pour se décider.

Laurent Joffrin a par ailleurs annoncé quatre projets pour Libération : renouvellement du site Libération.fr; diffusion en ligne payante de tous les contenus de Libération; «nouvelle formule du quotidien papier au premier semestre 2015; «activités nouvelles» en relançant les forums, des nouveaux suppléments et en transformant le mensuel Next.

Au sortir de la réunion, beaucoup de journalistes avaient la mine défaite, parfois des sanglots dans la voix, et refusaient de s'exprimer publiquement. La plupart se disaient peu surpris. « tel que je l'ai connu ne va plus exister», a résumé un journaliste. Plusieurs signatures historiques du journal envisagent de partir, selon des sources internes.

Au bord de la faillite, Libération a été renfloué fin juillet à hauteur de 18 millions d'euros, apportés principalement par le milliardaire Patrick Drahi, patron du groupe Altice (Numericable, SFR).