«Pourquoi parle-t-on autant de la mort du photojournaliste James Foley dans les médias? Est-ce que la mort d'un journaliste compte davantage que la mort des milliers de Syriens depuis le début du conflit?»

Ces questions, on pouvait les lire sur les réseaux sociaux au cours des derniers jours. Certaines personnes avaient l'impression que les médias réagissaient plus fortement à l'assassinat de M. Foley parce qu'il s'agissait d'un des leurs.

Vrai, les médias ont vivement réagi à la décapitation du photojournaliste américain qui était à l'emploi du site GlobalPost. Les circonstances de sa mort étaient particulièrement horribles. Mais il ne s'agissait pas d'un banal réflexe corporatiste.

La mort de James Foley, retenu en otage depuis novembre 2012, a fait réagir d'abord parce que l'homme de 40 ans a risqué sa vie dans le but d'informer la population sur ce qui se passe en Syrie, une zone parmi les plus dangereuses sur la planète à l'heure actuelle et que peu de médias couvrent parce que c'est extrêmement risqué et dispendieux.

Dans un texte publié sur le site de Reuters, la reporter médias Jennifer Saba rappelle que plusieurs grands journaux américains ont fermé des bureaux à l'étranger et diminué substantiellement leur couverture internationale au cours des dernières années. Elle cite entre autres le Boston Globe et le Los Angeles Times. Ces médias, qui disposaient de moyens financiers importants, ont été peu à peu remplacés sur le terrain par de nouveaux venus comme Vice, Buzzfeed et GlobalPost, plus modeste, créé en 2009.

Ces derniers ont moins d'expérience dans la couverture de zones de guerre et disposent de moins de ressources pour protéger leurs reporters. D'où la fragilisation de la situation des journalistes en territoire dangereux, qui sont des cibles de choix pour les organisations terroristes.

La diffusion des images

Cette tragédie a fait beaucoup parler pour une autre raison: fallait-il oui ou non diffuser les images des derniers instants de M. Foley, disponibles puisque ses assassins ont fait circuler une vidéo?

Ce n'est pas la première fois que cette question se pose. En 2002, la vidéo montrant l'assassinat du journaliste du Wall Street Journal Daniel Pearl avait suscité de vifs débats, tout comme celle d'un jeune homme d'affaires américain, Nick Berg.

Faut-il montrer ou pas ces images traumatisantes? Dans le cas de James Foley, et à la suite de demandes de la famille, la plupart des médias ont choisi de ne rien montrer. On ne souhaite pas faire le jeu des extrémistes en diffusant des images qui font office de propagande dans certains milieux, a-t-on expliqué. Même réaction respectueuse du côté des réseaux sociaux: YouTube a retiré la vidéo et Twitter a annoncé qu'il suspendrait le compte de quiconque allait diffuser les fameuses images.

Un groupe de médias a toutefois choisi d'aller à contre-courant. La plupart des journaux de News Corp Australia, propriété de Rupert Murdoch, ainsi que le tabloïd New York Post, qui appartient aussi au magnat, ont en effet publié des images tirées de la vidéo de l'assassinat, images où on voit James Foley quelques instants avant qu'on le décapite.

Ceux qui ont pris cette décision se défendent d'avoir agi par pur sensationnalisme.

«Cacher la réalité brutale de ce qui se passe sur la planète présentement ne servira les intérêts de personne», a déclaré Julian Clarke, président de News Corp Australia dans une entrevue au Guardian.

Mais jusqu'où faut-il aller pour alerter la population et lui brasser la cage? Le New York Post a publié la photo de James Foley avec un couteau sur la gorge... En gros titre, on peut lire «Savages» («sauvages»). Est-ce que, comme l'a déclaré Julian Clarke, ces images font réaliser aux lecteurs que la démocratie est menacée sur la planète? Ou s'agit-il plutôt d'une décision bassement commerciale de la part des journaux concernés?

Lors d'une conférence sur l'avenir des journaux (The Future Forum, qui avait lieu la semaine dernière à Sydney), le ministre des Communications australien, Malcolm Turnbull, a avancé une autre raison qui pourrait justifier la publication de ces images-chocs. «L'industrie des journaux doit refléter la mort brutale de Foley, a-t-il dit, ainsi que le prix très élevé que plusieurs journalistes paient pour nous informer et pour protéger notre démocratie.»

En effet, des centaines de journalistes sont morts en fonction au cours des dernières années. Des journalistes qui n'avaient d'autre objectif que d'informer la population, au péril de leur vie.

C'est pour toutes ces raisons qu'il fallait, et qu'il faut continuer de parler de la mort de James Foley.

Jean Coutu et Fugues resteront amis

Mardi dernier, le directeur et rédacteur en chef de Fugues, Yves Lafontaine, apprenait que son magazine, qui célèbre son 30e anniversaire, était expulsé des 18 succursales de Jean Coutu où il était distribué jusqu'ici. Le directeur des opérations des pharmacies, Patrice Caron, invoquait le contenu sexuel de la publication. Cette décision a incité M. Lafontaine à écrire à ses abonnés pour dénoncer la situation. «Ma lettre a été partagée 45 000 fois dans les réseaux sociaux et Jean Coutu a reçu environ un millier de commentaires négatifs sur son site», note-t-il. Résultat: un appel de la vice-présidente aux communications et l'assurance que Fugues continuera à être distribué dans les 18 pharmacies.

Texte vendeur, journaliste payant...

Henry Luce doit se retourner dans sa tombe. Une bien drôle de pratique vient d'être mise au jour chez Time, une entreprise qui a longtemps été synonyme de qualité journalistique aux États-Unis. Le site Gawker a révélé l'existence d'une grille d'évaluation destinée à déterminer quels journalistes du magazine Sports Illustrated, propriété de Time, allaient être remerciés (cela s'inscrit dans une immense vague de mises à pied). Un des critères d'évaluation: le journaliste produit-il un contenu bénéfique à la relation avec l'annonceur? En d'autres mots, ce journaliste est-il payant? Troublant.