«Vice déménage», pouvait-on lire dans le Wall Street Journal mercredi dernier. Pourquoi l'un des journaux financiers les plus influents du monde s'intéresse-t-il au énième déménagement d'une boîte de créatifs dans un entrepôt abandonné de Brooklyn?

Parce qu'à l'heure actuelle, Vice est sans aucun doute l'entreprise média la plus convoitée sur la planète.

Et que ce déménagement est un signal supplémentaire qu'elle est en pleine expansion. 

Les nouveaux locaux seront en effet suffisamment vastes pour accueillir 525 nouveaux employés, qui s'ajouteront aux 400 actuels. Dans une industrie où on annonce surtout des mises à pied et des fermetures, c'est un véritable tour de force, voire un miracle.

Et c'est ce qui explique que dans les médias américains, il ne se passe pas une semaine sans qu'on lise un article sur Vice. Tout le monde en veut un morceau. Les géants Time Warner, Fox (qui possède 5 % de l'entreprise) et Disney courtiseraient à différents degrés d'intensité ce petit empire médiatique né à Montréal il y a maintenant 20 ans.

Qu'est-ce qui rend Vice si désirable? Son succès auprès des jeunes, bien entendu, un succès qui se traduit par des revenus publicitaires, ce qui, dans l'industrie des médias, est l'équivalent d'un litre de sang frais chez les vampires.

Vice est tellement au centre de l'attention médiatique que lorsque le New Yorker lui a consacré un long reportage, au printemps 2013, le magazine New York a publié un article pour parler du reportage.

Ce qui distingue Vice des autres médias, c'est entre autres son ton et son approche, qu'on peut qualifier de choc dans les deux cas. Oubliez le côté BCBG des présentateurs de nouvelles traditionnels. Les reporters de Vice ne prétendent pas être objectifs, ils sacrent, ruent dans les brancards et n'ont pas peur de dire qu'ils sont dans la merde lorsqu'ils le sont. Leur journalisme est immersif, disent-ils. D'autres, comme le vétéran journaliste Dan Rather, estiment plutôt que leur style s'apparente à celui de Jackass. Avec un petit vernis intello, pourrait-on ajouter. Imaginez Urbania sur l'acide... sulfurique.

Chose certaine, les reporters de Vice n'ont pas peur de visiter les endroits les plus dangereux du monde pour décrire les événements à mesure qu'ils se produisent.

Ils partent en virée dans les clubs de Shanghai pour voir comment les jeunes Chinois claquent des milliers de dollars; ils vont en Ukraine pour décrire la guerre civile (et leur journaliste est fait prisonnier quelques heures); ils se rendent en Irak 10 ans après la chute de Saddam Hussein.

Leur journaliste Tim Pool a été le premier à signer un topo entièrement tourné avec des lunettes Google, en Turquie. Et ils ont été vivement critiqués lorsqu'ils ont organisé un match de basketball avec l'ex-vedette de la NBA Dennis Rodman et les Harlem Globetrotters pour Kim Jong-un, en Corée du Nord. Bref, ils ont trouvé le ton juste pour séduire un public de jeunes ayant grandi devant un écran, bombardés d'images depuis leur tendre enfance.

L'empire Vice

Ce qui a commencé comme un magazine papier gratuit (Voice of Montreal) distribué dans les rues du Plateau et du Mile End est devenu une véritable entreprise de production de contenus qui compte plus de 20 bureaux sur la planète. En plus de produire un site web, un magazine, des reportages qu'il vend à différents diffuseurs, des contenus publicitaires et des reportages commandités (Vice a sa propre agence), des films, des disques et des livres, Vice réalise une émission d'information hebdomadaire sur les ondes de HBO. Mais ce n'est pas suffisant pour Shane Smith, un des cofondateurs de Vice, qui a déclaré au New Yorker l'an dernier que son objectif était de devenir le plus grand réseau pour les jeunes partout dans le monde. (D'où son intérêt pour la cour que lui livrent Fox et Time Warner, qui pourraient lui offrir ce réseau sur un plateau d'argent). Paradoxal de la part de quelqu'un qui a déjà affirmé au Guardian que les jeunes fuyaient la télé. Mais le patron de Vice n'en démord pas et jure qu'il fera de la télé autrement.

Les stratèges qui l'entourent imaginent un MTV du XXIe siècle, une structure multiplateforme qui deviendrait le point de rendez-vous de la jeunesse comme l'a été la chaîne de vidéoclips dans les années 1980 et 1990.

Les dirigeants de Vice souhaitent visiblement battre le fer pendant qu'il est chaud, très chaud: ils estiment la valeur de leur entreprise à environ 2,5 milliards de dollars, un chiffre tempéré par des observateurs du milieu qui parlent, eux, de 1,5 milliard de dollars. Dans les deux cas, il s'agit de beaucoup de sous, et Vice ne lésine pas pour convaincre les éventuels investisseurs d'ouvrir leurs portefeuilles.

La semaine dernière, à Cannes, dans le cadre de la semaine des Lions de la publicité, l'entreprise a organisé plusieurs fêtes parmi les plus courues.

Tout le monde veut s'imprégner du parfum sulfureux de Vice.

Tous des pleutres!

Le chroniqueur politique du Toronto Star Royson James n'était pas fier de ses collègues lundi dernier. Dans une chronique assassine, il traite de pleutres les journalistes qui ont accepté de participer à la rencontre de presse - sur invitation seulement - du maire Rob Ford. Il nomme même ceux qui étaient présents (dont un reporter de son propre journal). «Notre profession, qui a autrefois été noble, est représentée aujourd'hui par des producteurs de contenu, écrit-il en substance. Peu d'entre eux se soucient de l'éthique journalistique. Plusieurs jouent les propagandistes et les cheerleaders pour le maire. Cela me rend malade...»

Le Nouvel Obs nouveau

Racheté par les propriétaires du Monde, l'hebdomadaire français Le Nouvel Observateur va changer de peau dès l'automne. Ses nouveaux patrons le veulent plus percutant et plus audacieux. Le site web deviendra payant dès 2015 et aura une approche plus magazine en privilégiant les longs reportages qui seront vendus à l'unité. Parmi les hebdos d'information français, Le Nouvel Observateur est le plus lu, avec un tirage hebdomadaire d'environ 500 000 exemplaires.