La révélation par Paris Match, en 2005, de l'existence d'Alexandre, l'un des deux enfants naturels du prince Albert II de Monaco, poursuivait un «intérêt légitime» et n'aurait donc pas dû être sanctionnée par les tribunaux français, a estimé jeudi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

«Il y avait un intérêt légitime du public à connaître l'existence de cet enfant et à pouvoir débattre de ses conséquences éventuelles sur la vie politique de la principauté de Monaco», ont estimé les juges européens, concluant que la condamnation du magazine avait constitué une violation de sa liberté d'expression.

«L'article de Paris Match ne formulait aucune allégation relevant de la diffamation», et le Prince, qui après cette publication avait été contraint de reconnaître officiellement l'enfant en juillet 2005, «n'a pas contesté la véracité des révélations», a relevé la Cour.

Paris Match a salué un arrêt «extrêmement important», dont il a estimé qu'il ferait «jurisprudence». «C'est une affaire très symbolique. On avait l'impression que la loi s'appliquait très différemment à un chef d'État et à un particulier», a commenté Olivier Royant, actuel directeur de la rédaction de Paris Match, soulignant que son journal avait «écrit la vérité, et non pas une rumeur».

De son côté le palais princier de Monaco, sollicité par l'AFP, n'a souhaité faire aucun commentaire.

Cet arrêt n'est pas définitif: les parties ont trois mois pour demander un nouvel examen du dossier par la CEDH, qui n'est toutefois pas tenue de le leur accorder.

Au printemps 2005, la révélation de l'existence d'Alexandre, quelques semaines après l'accession au trône des Grimaldi d'Albert II, qui n'avait alors pas d'héritier, avait fait les choux gras de la presse people.

Dans une entrevue à Paris Match, Nicole Coste - une hôtesse de l'air française d'origine togolaise - révélait que son fils Alexandre, né en août 2003, avait pour père Albert de Monaco. Des révélations publiées également en Grande-Bretagne par le Daily Mail et en Allemagne par Bunte.

«Sortir de la clandestinité»

Ulcéré, le prince avait attaqué Paris Match pour atteinte à la vie privée, et avait obtenu gain de cause: le tribunal de grande instance de Nanterre avait condamné le magazine à lui verser 50 000 euros au titre du dédommagement moral, et à faire état de cette condamnation sur sa «Une». Un jugement confirmé en appel quelques mois plus tard.

La Cour européenne a relevé que l'existence de cet enfant revêtait une «importance politique», quand bien même le jeune Alexandre, «en l'état actuel de la Constitution monégasque, ne peut prétendre succéder à son père».

Par ailleurs, a souligné la CEDH, «il ne s'agissait pas seulement de la vie privée du prince», mais également de celle d'Alexandre et de sa mère - laquelle avait d'ailleurs volontairement sollicité les médias afin que son fils «sorte de la clandestinité».

La préservation de la vie privée du prince ne doit pas faire obstacle à la volonté d'Alexandre «d'affirmer son existence» et de «faire reconnaître son identité», ont estimé les juges.

À ce propos, la CEDH a d'ailleurs relevé qu'en Allemagne la justice avait donné raison au magazine people Bunte, car elle avait considéré qu'il «appartenait à la mère de l'enfant, et non au Prince qui ne l'avait pas reconnu, de décider si la révélation de l'existence de l'enfant tombait ou non dans le domaine protégé de la vie privée».

Le prince et son épouse Charlene attendent pour la fin 2014 la naissance d'un premier héritier. Mais Albert II a également reconnu être le père de deux enfants nés hors mariage - et qui ne peuvent donc prétendre à la couronne.

Outre Alexandre, il s'agit de Jazmin Grace, née en mars 1992 en Californie d'une brève liaison avec une ex-serveuse, et reconnue en juin 2006, un an après la controverse autour de son demi-frère Alexandre.