La Cour supérieure a condamné Sophie Durocher, Sun Media, propriétaire du Journal de Montréal, et le site Canoe à se rétracter et à verser 10 000$ en dommages moraux pour atteinte à la réputation de Gesca, propriétaire de La Presse.

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En cause, l'article «Les copains d'abord» de la chroniqueuse Sophie Durocher, publié le 17 juin 2011 dans Le Journal de Montréal et repris sur le site Canoe. Dans l'article, Mme Durocher affirmait que Radio-Canada avait tenté de négocier l'obtention de la diffusion gratuite du débat des chefs au profit du site cyberpresse.ca (aujourd'hui lapresse.ca) «comme on le ferait pour aider un ami».

Mme Durocher soulignait que les médias qui souhaitaient diffuser les images du débat devaient payer et qu'il n'y avait aucun passe-droit pour les journaux de Québecor. Elle ajoutait avoir eu une «preuve flagrante» que Radio-Canada et Gesca «couchent dans le même lit».

À la suite de cet article, le président du consortium des radiodiffuseurs, Troy Reeb, qui a assisté à toutes les réunions des médias concernant la couverture du débat des chefs, a cru bon de rectifier les faits. Il avait aussitôt écrit un courriel au rédacteur en chef du Journal de Montréal, Dany Doucet, pour l'informer du fait que les allégations de Mme Durocher n'étaient aucunement fondées.

Devant le refus du Journal de Montréal et de Mme Durocher de se rétracter, Gesca a choisi de poursuivre la chroniqueuse, Sun Media et Canoe.

Gesca réclamait 75 000$ en dommages moraux, jugeant que l'article était diffamatoire et remettait en cause son intégrité et son indépendance journalistique. Mais pour Gesca, souligne la juge, ce qui importait le plus était la rétraction officielle avec excuses publiées dans Le Journal de Montréal et le site Canoe.

Le texte rectificatif ordonné devra être publié en deuxième page de la section Arts et spectacles du Journal de Montréal, «avec une visibilité et un format au moins équivalents à celui de l'article en cause», a précisé le tribunal.

Faits reprochés

Au cours du procès, Éric Trottier, vice-président à l'information et éditeur adjoint à La Presse, ainsi qu'Alain Saulnier, qui était directeur général de l'information à Radio-Canada au moment des faits, ont notamment été entendus. Ils ont tous deux confirmé qu'il n'y avait jamais eu de demandes faites par Gesca à la société d'État pour obtenir les images du débat des chefs, ni par Radio-Canada auprès du consortium pour le compte de Gesca.

La juge Eva Petras a tenu compte du fait que le consortium des médias avait été créé pour partager les coûts énormes de la télédiffusion des débats des chefs avant les élections. «Il serait illogique de penser qu'un des membres du consortium aurait voulu donner quelques droits que ce soit gratuitement à un autre média, et surtout à leur compétiteur principal», conclut le tribunal.

La juge a aussi tenu compte du fait que Mme Durocher a publié son article sans avoir entendu la version des faits de La Presse ou de Radio-Canada, ni même celle du président du consortium, M. Reeb.

Selon la juge, Mme Durocher «n'a pas fait les vérifications rigoureuses nécessaires pour confirmer les faits». La juge croit que Mme Durocher s'est empressée de répondre à une chronique de Marc Cassivi publiée dans La Presse le 16 juin 2011. Ce dernier soulignait «l'insistance maladive» de Mme Durocher, qui dénonçait depuis un an la présence de journalistes de Gesca sur les ondes de Radio-Canada.

«Le Tribunal croit que c'est effectivement le désir de se défendre qui a guidé et poussé madame Durocher. [...] Elle avait perdu son objectivité», dit le jugement 40 pages. La juge ajoute que la chroniqueuse n'a pas respecté les normes journalistiques.

La juge ne croit pas que la chroniqueuse était de mauvaise foi, dans la mesure où elle a cru ses sources. Le tribunal estime néanmoins qu'elle a agi d'une façon «négligente» avec «peut-être une certaine malice ou mépris» envers Gesca, La Presse et Radio-Canada.

De son côté, la défense a invoqué la liberté d'opinion et d'expression de Mme Durocher et a prétendu que la poursuite était abusive. La défense a rappelé qu'en tant que chroniqueuse, Mme Durocher a le droit d'exprimer son opinion, même si elle est erronée. Le tribunal s'est dit en désaccord avec cette explication et considère que l'article entache l'intégrité des deux médias visés.

Hier, Québecor a fait savoir sur Twitter que Sun Media et Sophie Durocher en appelleront du jugement. «Le jugement confond le rôle de Sophie Durocher. Elle est chroniqueuse et non pas journaliste», peut-on lire dans un second message publié sur le réseau social.