Le magazine allemand Der Spiegel, un des poids lourds de la presse mondiale d'opinion, est en quête d'un nouveau destin entre numérique et papier, affaibli par la crise des médias, des conflits internes et une concurrence de plus en plus rude.

«Le Spiegel est dans une passe difficile car il n'a pas de réponse convaincante à la question stratégique: comment faire fonctionner ensemble l'offre «Online» et l'offre classique traditionnelle «Offline», explique Michael Haller, directeur de l'Institut pratique de journalisme de Leipzig.

Le Spiegel, dont les imposants locaux trônent au coeur du vieux Hambourg, tente manifestement d'y répondre: il s'est choisi récemment un nouveau patron, Wolfgang Büchner, qui dirigera à la fois le magazine et le site d'information Spiegel Online. Avec cette nomination, le groupe fait le pari de réunir deux rédactions jusqu'à présent séparées.

Quelques semaines plus tôt avait été annoncé le départ des deux rédacteurs en chef, celui en charge du magazine et le patron du site, en raison «d'oppositions irréconciliables concernant les orientations stratégiques».

Le premier souhaitait rendre payants certains contenus sur internet, craignant un phénomène de «cannibalisme» au détriment du magazine, le second jugeait cette option dangereuse pour l'attractivité du site.

La balance semble pencher en faveur du numérique: Wolfgang Büchner est rédacteur en chef de l'agence allemande dpa depuis 2008, et il l'a profondément modernisée, singulièrement en ce qui concerne l'offre numérique. Il faut dire qu'il arrivait... de Spiegel Online...

Fondé en 1947 par Rudolf Augstein, le Spiegel, qui emploie 1200 salariés, a fait de la lutte contre la corruption politique sa marque de fabrique. Longtemps considéré comme le média le plus influent d'Allemagne, il a levé une kyrielle d'affaires et de scandales politiques.

Parmi ses faits d'armes, il a révélé en 1962 la faible préparation de l'armée ouest-allemande lors de manoeuvres de l'OTAN, provoquant une crise politique retentissante, et s'est illustré plus récemment dans la dénonciation des scandales sexuels qui ont entaché le clergé catholique.

Mais ses résultats sont en perte de vitesse. En 2012, le chiffre d'affaires du groupe a baissé de 6%, à 307 millions d'euros, soit à peine plus que son niveau de 2003.

D'un côté, l'audience du Spiegel Online, deuxième site le plus consulté d'Allemagne derrière celui du tabloïd Bild, n'a jamais été aussi élevée, avec un pic à 214 millions de visites en avril. En 2012, il a même réussi le tour de force de dégager des revenus à partir d'une offre entièrement gratuite.

Mais, les ventes du magazine ont reculé à 883 310 au premier trimestre, loin des 1,05 million exemplaires du début 2008, selon l'Office allemand de contrôle de la diffusion (IVW).

Comme beaucoup d'autres, le Spiegel fait lui aussi les frais de la crise qui secoue le secteur des médias, mais pas seulement. «Les titres des articles ne sont souvent plus aussi pertinents et uniques que par le passé. Le Spiegel est devenu hésitant», estime Michael Haller.

La concurrence est également devenue plus féroce, alors que d'autres médias se sont lancés eux aussi dans le journalisme d'investigation, à l'instar du quotidien Süddeutsche Zeitung ou de la chaîne de radio-télévision publique NDR.

Néanmoins, le magazine reste de loin le premier hebdomadaire d'Allemagne, devant Stern et Focus, tempère Joachim Trebbe, professeur en Sciences de la communication à l'Université libre (FU) de Berlin.

Selon lui, «le Spiegel se trouve dans une très bonne situation, en comparaison de beaucoup d'autres titres. De plus, il reste le plus important portail d'information sur internet et l'un des deux sites dont l'offre en ligne génère des revenus».

«Le Spiegel est encore une institution mais il est soumis à une énorme pression économique» dans un contexte où les lecteurs vont chercher de plus en plus d'information sur internet, résume-t-il.