Obligé de démissionner parce qu'il a tenté d'écarter le chef de police de Montréal, l'ex-directeur général de la Ville de Montréal Guy Hébert a déclaré qu'il se retirait, car de toute façon, les médias allaient s'acharner sur lui et ainsi nuire à la Ville.

Ce que M. Hébert qualifie d'acharnement est en fait une enquête journalistique sérieuse publiée vendredi dernier dans laquelle trois journalistes révélaient les tentatives du directeur général de se débarrasser du chef de police.

De retour de vacances en pleine controverse, M. Hébert avait convié les journalistes lundi avant-midi pour nier les allégations de La Presse à son endroit. Quelques heures plus tard toutefois, l'attaché de presse du ministre de la Sécurité publique le contredisait, affirmant qu'il avait bel et bien tenté de remplacer M. Parent. La faute aux médias? Vraiment?

Quand on est une personnalité publique et qu'on se retrouve dans l'embarras, il est toujours tentant de dire que «c'est la faute des journalistes».

L'histoire récente regorge d'exemples de dirigeants d'entreprise ou de politiciens qui ont attribué leurs malheurs aux médias d'information. Hier, la rédactrice en chef du Devoir, Josée Boileau, rappelait sur Twitter qu'en 2009, Pierre Lavallée était venu dans les bureaux du quotidien se plaindre des articles concernant la firme BMR. Témoin à la commission Charbonneau, il a pourtant confirmé tout ce qui avait été écrit à l'époque. L'ex-maire Gérald Tremblay, lorsqu'il était en poste, reprochait lui aussi aux médias montréalais de s'acharner sur sa personne. Même réaction de la part de son bras droit Frank Zampino et du président de la FTQ, Michel Arsenault, tous deux critiques de la couverture médiatique dont ils étaient l'objet. On pourrait qualifier ce type de comportement «d'arrogance des puissants», des gens qui pensent bénéficier d'une sorte d'immunité liée à leur position et qui n'imaginent pas un instant que leurs agissements pourraient être étalés sur la place publique.

Réputations

Comme c'est souvent sur la scène médiatique que se font et défont des réputations, on peut se demander si Guy Hébert a non seulement menti en conférence de presse, mais s'il n'a pas aussi manipulé un journaliste pour tenter de sauver sa réputation. En effet, lundi, ce qui semble être la version du directeur général de la Ville de Montréal occupait toute une page dans un article signé par le rédacteur en chef du Journal de Montréal, Dany Doucet. Dans un geste rarement vu dans les annales du journalisme québécois, M. Doucet prenait la plume pour démolir l'histoire d'un concurrent (en l'occurrence La Presse) et faire écho à la défense de Guy Hébert. Le patron du Journal de Montréal avait-il fait les vérifications d'usage? Ou s'est-il carrément laissé manipuler par le mandarin de la Ville?

Et surtout, M. Doucet avait-il consulté ses collègues de Québecor? En effet, quelques heures plus tard, le journaliste de TVA Yves Poirier annonçait sur Twitter: «Exclusif TVA Nouvelles: le directeur général a bel et bien voulu limoger le chef de police.» Quand on lui a demandé sur Twitter si cela rendait caduc l'article de Dany Doucet, M. Poirier a répondu: «Pas de commentaires.» On imagine sa frustration et celle de ses collègues, qui travaillaient peut-être eux aussi sur cette histoire, d'avoir été ridiculisés de la sorte avec la publication de l'article du Journal de Montréal.

Toute cette histoire montre à quel point la tension est à son comble à l'hôtel de ville de Montréal. Et que les médias, s'ils ne sont pas vigilants, courent le risque d'être instrumentalisés par les acteurs du drame qui se déroule. Toute une leçon de journalisme.