Pendant qu'à Rome, des milliers de journalistes sont agglutinés près de la basilique Saint-Pierre en attendant l'élection de celui que plusieurs voient comme le «représentant de Dieu» sur Terre, à Montréal, des journalistes sont rassemblés au palais de justice pour assister au procès de Luka Magnotta, celui que certains qualifient d'«incarnation du diable». Deux événements médiatiques très différents qui ont toutefois un point en commun: le Québec. D'où la couverture de grande envergure à laquelle nous avons droit ces jours-ci.

La possibilité que Marc Ouellet, originaire d'Abitibi, accède au Saint-Siège a provoqué un véritable exode de journalistes québécois vers Rome et La Motte. Radio-Canada a dépêché pas moins de six journalistes au Vatican, dont quatre animateurs: Céline Galipeau du Téléjournal, Marc-André Masson de RDI, Michel C. Auger de Pas de midi sans info sur la Première Chaîne et Alain Crevier, animateur de Second regard. La Presse a quatre représentants sur les lieux, TVA et QMI sont également présents. Même Cogeco a envoyé son journaliste, Philippe Bonneville.

À La Motte, où vit toujours la famille élargie de Marc Ouellet, on comptait déjà une cinquantaine d'accréditations hier midi, surtout de médias en provenance du Québec et de Toronto. L'événement est couvert comme une élection présidentielle et on peut suivre la couverture du conclave sur Twitter sous les mots-clics #conclave, #pape, #Vatican et #Vatican2013.

Le fait que le candidat Ouellet soit originaire du Québec justifie-t-il une telle couverture médiatique? Nombreux sont ceux qui estiment que non, brandissant les plus récentes statistiques qui montrent la fréquentation famélique de l'Église catholique au Québec. «On s'en fout!» disent-ils en substance (l'auteur Daniel Thibault a même lancé le mot-clic #ÉcoeuréDuPape hier, sur Twitter).

Pourtant, la couverture médiatique depuis la démission de Benoît XVI dépasse largement la simple élection de son remplaçant: bien sûr, on a beaucoup appris sur le fonctionnement du conclave et les intrigues au Vatican, mais on nous a également présenté des reportages sur la crise au sein de l'Église catholique, l'absence des femmes et les critiques que cette absence suscite ainsi que les nombreux scandales sexuels mettant en cause des prêtres et des cardinaux. Bref, on peut reprocher aux médias d'en faire beaucoup, mais on ne peut pas leur reprocher de ne pas offrir une couverture riche et variée.

Le cas de Magnotta est fort différent. Plusieurs se demandent carrément pourquoi il faudrait couvrir un procès qui ne nous apprendra rien qui vaille, si ce n'est le comportement complètement déviant et, dans ce cas-ci, particulièrement pervers d'un fou furieux. Les avocats de la défense, invoquant le risque d'un véritable cirque médiatique digne du procès Bernardo, ont d'ailleurs demandé que l'enquête préliminaire se déroule à huis clos, une demande immédiatement contestée par les médias. Pourquoi? Pour le principe. Une telle mesure n'a pas été accordée depuis l'entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés, il y a plus de 20 ans, a rappelé l'avocat Mark Bantey. Si la juge acceptait cette requête - elle doit rendre sa décision ce matin - les journalistes ne seraient même pas autorisés à entrer dans la salle durant les audiences. Or même si cette histoire et ses détails nous dégoûtent, il est important que les journalistes puissent la couvrir au nom de la liberté d'expression et du droit du public à l'information. Ces principes sont cruciaux et il faut les défendre même lorsque la cause nous déplaît. Le public doit simplement se rappeler, dans le cas du procès Magnotta comme dans celui de l'élection du prochain pape, qu'il jouit aussi de la liberté de fermer la télé ou de ne pas lire le journal s'il en a envie.

#Onnote

Le Nouvel Observateur a été forcé de s'excuser à la une de sa dernière édition pour «atteinte à la vie privée» de Dominique Strauss-Kahn à la suite du traitement particulièrement spectaculaire que l'hebdomadaire avait accordé à la publication du livre Belle et bête de Marcela Iacub, portant sur sa relation avec l'ancien président du FMI. Mais Le Nouvel Observateur ne se contente pas de banales excuses, il consacre pas moins de cinq pages à l'affaire, se remet en question et revient sur la démarche de Mme Iacub qui prétend aujourd'hui avoir été «forcée» à écrire ce livre par des gens qui voulaient du mal à DSK. Mea culpa.