Le journalisme d'enquête mène à tout, même au cinéma. On l'a vu au Québec cette année avec L'affaire Dumont, un film en partie inspiré par des faits rapportés dans l'enquête du journaliste de Radio-Canada Alain Gravel à l'émission Enjeux.

Cette année, deux films en nomination aux Oscars sont nés d'un long reportage journalistique publié d'abord dans un magazine.

Le film Argo de Ben Affleck, en nomination pour la statuette du meilleur film, est inspiré d'un long reportage de Joshua Berman, How the CIA used a fake sci-fi flick to rescue Americans from Tehran, publié il y a cinq ans dans le magazine Wired.

Quant au film Zero Dark Thirty de la réalisatrice Kathryn Bigelow, son scénario est basé sur un reportage de Mark Boal, le même qui a écrit le reportage ayant donné naissance au film The Hurt Locker.

Les enquêtes journalistiques sont un matériau de rêve pour les réalisateurs et les producteurs de cinéma.

En entrevue au quotidien Le Monde, la réalisatrice Kathryn Bigelow confiait récemment «avoir remarqué dans Playboy le reportage de Mark Boal sur un flic qui s'infiltrait dans un lycée. Je l'avais contacté pour lui demander de me faire lire en priorité sa prochaine enquête en Irak. Je sentais que c'était en m'appuyant sur ce type de journalisme que je pourrais me renouveler comme metteuse en scène.».

En effet, non seulement ces longues enquêtes journalistiques racontent-elles des histoires enlevantes, mais en plus, elles sont basées sur des faits réels recueillis grâce à une démarche journalistique.

Le journalisme narratif, c'est le nom qu'on donne à ces reportages de longue haleine, est un genre très prisé aux États-Unis, beaucoup moins au Québec. On peut en lire dans des magazines comme The Atlantic, The New Yorker, Playboy, Wired, etc.

De journalistes à vedettes

Plusieurs journalistes qui pratiquent le genre - on pense à Mark Boal, mais aussi à Mark Bowden auteur de Blackhawk Down - sont devenus de véritables stars aux États-Unis, représentées par des agents, des maisons de production, etc.

Mais attention! Une fois à l'écran et passés à la moulinette hollywoodienne, ces récits doivent-ils être traités au même titre qu'un reportage journalistique?

La réponse est non, comme nous l'ont démontré les deux films en nomination aux Oscars cette année.

Prenons Argo. Il a été dit à plusieurs reprises que ce film a joué avec les faits et qu'il ne raconte pas exactement ce qui s'est vraiment produit lors de la crise des otages en Iran. Ben Affleck a donné le beau rôle à la CIA et au gouvernement américain, reléguant au second plan l'ambassadeur canadien, Ken Taylor, qui avait pourtant été au coeur du sauvetage des otages.

Les médias ont déjà raconté la suite: Affleck et l'ambassadeur Taylor se sont rencontrés et le réalisateur a accepté d'ajouter un petit texte explicatif à la fin du film, question de rendre à César... Qu'à cela ne tienne, des milliers de cinéphiles croient sûrement que les faits relatés dans Argo sont exacts.

De divertissant à politique

Dans le cas de Zero Dark Thirty, la rencontre entre la fiction et la réalité est encore plus brutale. Une enquête sénatoriale a été mise sur pied pour faire la lumière sur la nature des informations fournies à Mark Boal par la CIA puisque le film de Bigelow s'ouvre sur des scènes de torture.

La torture autorisée par le gouvernement américain a-t-elle, oui ou non, mené directement à la cachette de ben Laden comme le soutient le long métrage? De divertissant, le film de Bigelow est devenu politique. C'est le danger lorsqu'on affirme que notre scénario est basé sur une enquête journalistique et des faits véridiques.

En entrevue à l'émission This Week sur les ondes de ABC la semaine dernière, l'auteur de Blackhawk Down, Mark Bowden, est venu prêter main-forte au journaliste-scénariste dont le reportage a inspiré Zero Dark Thirty, affirmant qu'il était injuste de qualifier une fiction d'oeuvre journalistique. «Le journalisme va en profondeur pour comprendre et détailler ce qui s'est réellement passé, a-t-il expliqué. Je ne crois pas que c'est ce qui se produit dans une fiction».

Les journalistes n'ont pas fini d'alimenter l'imagination des cinéastes.

L'actrice Charlize Theron s'apprête à se glisser dans la peau de la journaliste britannique Marie Colvin, tuée en Syrie l'an dernier. Le film sera basé sur le reportage de la journaliste Marie Brenner, publié dans l'édition d'août dernier du magazine Vanity Fair. En regardant le film, aussi réaliste soit-il, il faudra se souvenir, encore une fois, qu'il s'agit avant tout d'une fiction.