Il n'y a pas si longtemps, l'exercice de la revue de l'année était assez simple et plutôt consensuel.

Des grands événements (politiques, artistiques, sportifs) marquaient l'année, et comme il n'y avait qu'une poignée de chaînes de télévision et que tout le monde ou presque regardait le même bulletin de nouvelles à la fin de la journée, on arrivait à une liste qui reflétait grosso modo une expérience commune.

Cette époque est vraiment révolue. Aujourd'hui, la réalité de X est complètement différente de celle de Y, qui est pourtant son voisin.

Demandez aux membres d'une famille vivant sous le même toit ce qu'ils ont retenu de 2012 et vous risquez d'avoir des réponses fort différentes d'une personne à l'autre.

Au fond, ce n'est pas si étonnant: nos choix de divertissement, tout comme nos façons de nous informer, sont désormais taillés sur mesure selon nos goûts et nos intérêts et viennent à nous par l'entremise de notre tablette, de notre ordinateur ou de notre téléphone.

Des choix personnalisés, donc, qu'on consomme individuellement. Résultat: une vision du monde qui tourne beaucoup autour de notre nombril.

Bien sûr, il y a encore de grands événements rassembleurs (en 2012: les Jeux olympiques, les élections, la crise étudiante, Unité 9), mais ils sont de moins en moins nombreux. Nous vivons côte à côte dans nos silos respectifs, et nos réalités sont de plus en plus éclatées.

La meilleure illustration de ce phénomène, ce sont toutes ces rétrospectives de l'année publiées par les réseaux sociaux comme Facebook, Twitter et YouTube ou encore la revue de l'année de Google. On y retrouve des points communs, bien sûr, mais il y a aussi des différences qui montrent bien que nous vivons parfois dans des univers parallèles.

Sur la liste des sujets les plus discutés de Facebook, par exemple, on retrouve dans les trois premières places les titres de trois films: The Hunger Games, The Avengers et The Walking Dead. Or, à l'exception de Hunger Games, qu'on peut qualifier de mini-phénomène, on ne peut pas dire que les deux autres films aient vraiment «marqué» 2012 dans le sens où on l'entend habituellement. La mort de Whitney Houston, la candidature de Mitt Romney et la vidéo Kony 2012 viennent avant les Jeux olympiques de Londres. Magic Mike, l'insupportable Gangnam Style et le livre pseudo-porno Fifty Shades of Grey terminent cette liste qui relève davantage du concours de popularité que d'une véritable revue de l'année.

En effet, aucune mention de la Syrie ou de la Libye, deux événements qui ont pourtant monopolisé l'information internationale. Aucun sujet économique non plus alors que la crise inquiète, que les gens sont endettés et craignent pour leur sécurité financière.

De son côté, Twitter a choisi de prendre le «pouls de la planète» pour 2012. Sur son site, on découvre que les Jeux olympiques et les élections américaines occupent le sommet de la liste, mais sont suivies par... les MTV Awards et ce, avant même l'ouragan Sandy ou la mort de Whitney Houston. Encore là, les intérêts des utilisateurs de Twitter en 2012 ne reflètent pas totalement la réalité. Les MTV Awards ont peut-être été très importants dans leur vie le soir de leur diffusion, mais dans le grand tout, il s'agit d'un événement insignifiant qu'on avait oublié la semaine suivante.

Google aussi propose une rétrospective des moments marquants de l'année à travers les mots les plus recherchés sur son moteur de recherche (la vidéo de deux minutes - Zeitgest 2012 - produite par Google, vaut la peine d'être visionnée). Au Canada, il semble que les internautes se sont d'abord intéressés à Pinterest, puis à l'ouragan Sandy, aux Jeux olympiques et au jeu vidéo Diablo 3. L'émission Star Académie (seule entrée québécoise) figure au 7e rang des recherches les plus tendances de 2012 sur Google Canada, illustrant encore le principe des deux solitudes au pays.

Si Google, Twitter et Facebook s'étaient donné la peine de dresser des listes des mots, sujets ou mots-clics les plus populaires au Québec, ils seraient sans aucun doute arrivés à d'autres résultats, reflétant une réalité québécoise bien différente de celle de ses voisins des autres provinces.

Cet éclatement des visions, des perceptions et des expériences va s'accentuer au cours des prochaines années.

Déjà, Facebook et Twitter nous proposent un outil qui permet de faire la revue de NOTRE année: quels sont les événements, les sujets de discussion et les commentaires qui ont marqué 2012 de notre point de vue à NOUS. La tendance est claire: on ne s'ouvre plus sur le monde extérieur qui peut nous sembler incertain et menaçant et sur lequel on exerce de moins en moins de contrôle. On se replie plutôt sur nous-mêmes, sur cet univers connu et rassurant qui ne risque surtout pas d'ébranler nos certitudes et de nous remettre en question. Plus narcissique que ça...