On a connu Tyler Brûlé à l'époque de Wallpaper, magazine style de vie lancé en 1996 et qu'il a quitté en 2002. On l'a retrouvé dans le paysage médiatique cinq ans plus tard avec Monocle, magazine très pointu, épais comme un annuaire, qui parle aussi bien d'affaires internationales, de design que de culture. Entre-temps, ce natif de Winnipeg a aussi fondé Winkreative, agence de publicité spécialisée dans l'image de marque qui compte comme clients Porter Airlines et Bombardier (c'est lui qui a créé l'image du raton laveur pour la ligne aérienne).

De passage à Montréal la semaine dernière, dans le cadre du RDV Médias d'Infopresse, Tyler Brûlé est donc venu nous parler de son magazine, de ses projets et de sa vision. On peut reprocher bien des choses à cet homme - snob, élitiste, loin des préoccupations des gens ordinaires (ceux qui lisent sa chronique Fast Lane dans le Financial Times comprendront) -, mais certainement pas de manquer d'audace.

Le magazine de ses rêves

Quand il a créé Monocle, il souhaitait faire un magazine qu'il aurait aimé lire, dit-il. «Je faisais le tour des kiosques à journaux et je ne voyais que ces tristes hebdomadaires européens ou américains imprimés sur du papier moche. À cette époque, je passais beaucoup de temps au Japon où le marché des magazines était dynamique. Il y en avait de tous les formats, accrochant le regard avec leurs couleurs vives, des pop-up, des cadeaux, etc. Lire un magazine japonais, c'était une expérience sensuelle.»

C'est avec cette idée en tête que Tyler Brûlé est allé rencontrer différents fournisseurs de papier, des imprimeurs, des designers. Il voulait créer un magazine qui soit agréable à feuilleter et à regarder. Il voulait que les lecteurs puissent le conserver comme un livre, sur la table de chevet ou dans la bibliothèque.

Défi relevé: aujourd'hui, Monocle compte des milliers d'abonnés dans le monde qui paient 125$ pour recevoir 10 numéros par année. Ceux qui veulent avoir uniquement accès au site web paient plus cher. Et ils ne trouveront ni application iPad ni compte Twitter. Tyler Brûlé n'y croit tout simplement pas.

En effet, l'éditeur dit ne pas être convaincu que la tablette numérique incarne l'avenir des magazines. «Un magazine, on peut l'apporter où on veut, le laisser traîner partout. Pas une tablette. On a peur de la salir ou de se la faire voler.»

Même réticence à propos des réseaux sociaux. Dès le début de sa conférence, Tyler Brûlé a imploré l'auditoire de ne pas tweeter. «Si vous saviez comme c'est ennuyant de s'adresser à des têtes penchées.» Il a exprimé des doutes quant à l'utilité pour un média d'avoir un compte Twitter. À qui s'adresse-t-on au juste? Et pourquoi faire de la publicité à la marque Twitter en la nommant sans cesse?

Loin du bruit ambiant, Monocle s'adresse plutôt à des lecteurs triés sur le volet qui voyagent beaucoup et sont prêts à claquer beaucoup d'argent pour acquérir un bel objet.

C'est sur cette base - un style de vie haut de gamme - que Monocle a bâti son modèle d'affaires: en plus du magazine, il y a les boutiques Monocle qui proposent une collection d'articles luxueux approuvés par Tyler lui-même. Il y a aussi des cafés - un à Tokyo et un second à Londres bientôt -, des baladodiffusions sur l'actualité ainsi que des journaux papier grand format destinés à un lectorat de niche (Mediterraneo et Alpino). Malgré les liens étroits entre Winkreative et Monocle (Tyler Brûlé dirige les deux), il jure que la frontière est on ne peut plus étanche entre la rédaction et la publicité.

Son conseil pour les médias du Québec? Mettre de l'avant la spécificité francophone. «Dommage que Juste pour rire soit la première exportation québécoise sur la scène internationale. Il me semble que vous avez plus à offrir. Le français devrait être une des marques de commerce du Canada à l'étranger.»