Une ancienne collaboratrice d'Hillary Clinton déclare qu'en 2012, il est encore très difficile pour les femmes de concilier carrière et famille. Depuis la publication de son texte dans la revue The Atlantic, le débat fait rage aux États-Unis et au Canada anglais.

Les femmes peuvent-elles tout avoir? À l'origine de cette question, un texte d'Anne-Marie Slaughter, professeure à l'Université Princeton, qui a choisi de rentrer à la maison après deux ans passés à Washington où elle a été la première femme à occuper le prestigieux poste de directrice de la planification au département d'État. Voyant que son fils adolescent éprouvait des difficultés personnelles et académiques, cette spécialiste des relations internationales a décidé de ne pas renouveler son contrat et de reprendre son poste universitaire. Dans un texte très personnel intituléWhy Women Still Can't Have It All, elle affirme que le féminisme a menti aux femmes en leur faisant croire qu'elles pouvaient tout réussir, et ajoute que le manque de soutien aux familles américaines rendait impossible, pour l'instant, la conciliation carrière-famille.

Dire que cet article a soulevé un débat serait un euphémisme: lettres, chroniques, tribunes téléphoniques... Mme Slaughter a touché un point hypersensible, en particulier aux États-Unis où les congés de maternité sont inexistants et les services de garde, rares et coûteux.

Au Québec

Nous avons fait réagir quelques Québécoises pour savoir ce qu'elles pensaient du texte d'Anne-Marie Slaughter.

La question de la conciliation travail-famille intéresse depuis longtemps Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme et ancienne journaliste à Radio-Canada. «Prétendre qu'on peut tout faire sans compromis est un mythe que nous, les femmes dans la cinquantaine, avons peut-être eu tendance à perpétuer, lance celle qui a déjà été correspondante à Washington. Personnellement, j'ai eu mes enfants plus tard pour mener ma carrière en premier. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, il y a des professions qui sont moins compatibles que d'autres avec la vie de famille. Mais on ne peut pas nier que les femmes se questionnent toujours davantage que les hommes. Elles se sentent plus responsables. Ce n'est pas inné, mais c'est certainement acquis, par la manière dont elles ont été élevées.»

«La conciliation, c'est le dilemme perpétuel des femmes, nous le vivons toutes à différentes échelles, que nous soyons réceptionniste ou vice-présidente», estime pour sa part Danièle Henkel, femme d'affaires et juge à l'émission Dans l'oeil du dragon sur les ondes de Radio-Canada. «Ensuite, il y a la façon personnelle de gérer la situation. Il faut être capable de faire l'inventaire de ce qu'on veut et de ce qu'on peut faire physiquement et émotionnellement, poursuit cette mère de quatre enfants. Dans le cas de Mme Slaughter, elle a choisi la vie qui lui seyait le mieux et c'est correct ainsi.»

«Tout avoir»

Depuis la publication de son texte, on reproche à Anne-Marie Slaughter de culpabiliser les femmes en sous-entendant qu'elles doivent réussir tous les aspects de leur vie à la perfection.

Une attitude que Dominique Anglade, présidente de la Coalition avenir Québec et candidate aux prochaines élections, dit avoir rejetée. «C'est important de trouver un équilibre et de se demander ce qu'on veut vraiment, souligne cette mère de trois jeunes enfants. Bon nombre de femmes des générations précédentes ayant réussi n'avaient pas d'enfants. Aujourd'hui, je dirais que les femmes de ma génération - j'ai 38 ans - se sont libérées de cette pression de vouloir être parfaites dans tout. Elles apprennent à abandonner la gestion de certains aspects de la vie quotidienne et elles partagent la réflexion sur la qualité de vie et l'équilibre avec les hommes qui se posent eux aussi la question. De toute manière, personne ne peut «tout avoir».»

Au coeur de la réflexion de Mme Slaughter se trouve une question cruciale: quand on dit «tout avoir», que veut-on dire au juste?

«On ne se demande jamais si les hommes, eux, peuvent «tout avoir»», observe Marie-Josée Gagnon, présidente fondatrice de Casacom et mère de deux enfants. «Cette femme semble habitée par de multiples remords, on a l'impression qu'elle a raté sa vie. De plus, elle nous dit qu'il n'est simplement pas possible pour les femmes de vivre une vie complète et elle déclare forfait pour des générations entières. Au fond, il faut avoir pour objectif de vivre une vie satisfaisante et si cela signifie d'avoir une carrière et d'avoir une vie de famille, eh bien, c'est ça.»

«Je ne suis pas mère, mais je ne crois pas qu'on puisse tout avoir, croit quant à elle Léa Clermont-Dion, étudiante en sciences politiques, auteure et féministe. Cette génération qui a voulu tout avoir a été motivée par la quête de la performance. C'est le syndrome de notre société. Et je sens encore cette pression, on nous donne l'illusion à nous, les femmes, que nous serons des superwomen toute notre vie. Cela dit, je ne suis pas d'accord avec le fait qu'il faille restreindre nos choix. Je crois plutôt qu'il faut adapter l'espace public et construire de nouveaux modèles plus équilibrés.»

En 1996, la réalisatrice et auteure Norah Ephron, qui s'est éteinte cette semaine à l'âge de 71 ans, a prononcé un discours devant les diplômées du Collège Wellesley. Ses propos sonnent comme une réponse aux questionnements d'Anne-Marie Slaughter. «Peut-être que les jeunes filles ne se demandent plus aujourd'hui si elles peuvent tout avoir, mais si vous vous posez la question, sachez que, bien sûr, vous pouvez tout avoir. Qu'allez-vous faire? Tout, j'imagine. Il faut accepter que ce sera un peu bordélique et compliqué, et que rien ne sera jamais comme vous l'aviez imaginé, mais les surprises ont du bon. N'ayez pas peur, vous pouvez toujours changer d'idée. Je le sais, j'ai eu quatre carrières et trois maris.»