Un magazine québécois qui a fait ses débuts en étant très montréalo-centriste peut-il conquérir Paris et la francophonie? C'est le défi que s'est lancé l'équipe du magazine Urbania qui publie jeudi une édition consacrée aux Parisiens. En plus d'être diffusé à Montréal, ce numéro sera distribué à 3000 exemplaires dans la Ville lumière.

«Urbania soulignera son 10e anniversaire l'an prochain et on s'est demandé: what's next?, lance le grand patron du magazine, Philippe Lamarre. On plaît beaucoup aux Français installés à Montréal, ils nous disent que lorsqu'ils reçoivent leurs amis de France, ils leur font lire Urbania pour découvrir qui sont les Québécois. Alors pourquoi pas la francophonie?»

Philippe Lamarre affirme être très inspiré par le modèle de Vice, cette publication née à Montréal qui a ouvert un bureau à New York avant de multiplier ses éditions et ses projets un peu partout sur la planète. Aujourd'hui, Vice est bien plus qu'un magazine, c'est un producteur de contenus papier, web, films, musique, etc.

«Le modèle de Vice nous apparaît super intéressant, mais en même temps, on ne se voyait pas publier en anglais, poursuit-il. Il aurait fallu former une toute nouvelle équipe. Et puis, notre code génétique est en français.»

Urbania a donc tourné son regard vers l'autre côté de l'Atlantique, en France, là où «on pige leur ton, quoi!».

«Le numéro qu'on lancera à Paris cette semaine, c'est un regard «urbanien» sur les Parisiens, explique Philippe Lamarre. C'est un test. D'ici un an, on aimerait avoir un bureau là-bas. Ensuite, on pourrait créer des cellules dans des villes comme Bruxelles, Port-au-Prince et un jour, qui sait, pourquoi pas les pays francophones de l'Afrique?»

Alors que P45 a disparu et que Voir en arrache (on a fermé les éditions papier de la Mauricie et du Saguenay, on ne sait pas encore ce qui arrivera à Québec. La semaine dernière, on apprenait le départ du rédacteur en chef et de la chroniqueuse politique de Voir Montréal), Urbania a plutot le vent dans les voiles. Philippe Lamarre assure que les abonnements et les ventes en kiosque sont en hausse ainsi que les visiteurs du site web.

Le succès d'Urbania? Au cours des neuf dernières années, la «marque Urbania» a multiplié les plateformes. En plus du magazine, Urbania est aussi un site web, une application mobile et des contenus pour la télévision et le web. L'équipe travaille aussi à un projet d'émission de radio qui devrait aboutir sous peu.

Mélange des genres

On peut dire qu'Urbania ne craint pas le mélange des genres. Périodiquement, il publie des magazines sur mesure pour des marques choisies: Dare to Care, Denis Gagnon et tout récemment, Ubisoft ont eu droit à leur numéro spécial Urbania. Démarche journalistique ou contenu promotionnel? En feuilletant ces numéros hors série, on reconnaît les mêmes signatures que dans la livraison régulière du magazine Urbania. Philippe Lamarre, lui, n'y voit aucun problème. «Il faut voir nos numéros thématiques comme une association de marques, dit-il. Je sais que ça fait grincer des dents aux purs et durs, mais personnellement, je trouve ça plus naturel que de voir un article dans un magazine suivi, quelques pages plus loin, d'une publicité portant sur le produit dont il est question dans l'article. Cette formule est bien plus sournoise. Notre approche s'inscrit dans la mouvance actuelle où les ventes publicitaires sont en baisse et où les marques veulent être plus proches du contenu éditorial.»

L'éditeur d'Urbania ne voit aucun problème à ce que ses journalistes écrivent aussi pour des numéros thématiques, car, dit-il, Urbania conserve le contrôle éditorial «C'est certain qu'on n'est pas là pour faire du journalisme d'enquête, précise-t-il. Si Ubisoft, par exemple, n'avait pas voulu qu'on traite d'un sujet en particulier, on ne l'aurait pas fait. Pour le reste, on traite le sujet comme si c'était un numéro régulier et ça donne du travail à notre équipe. On assume très bien nos choix.»

Le projet Rouge au carré

Au même moment où Urbania lance son offensive en France, il lance aussi un projet spécial sur le printemps québécois en collaboration avec l'ONF et l'École de la Montagne Rouge.

«Je suis diplômé en design de l'UQAM et j'aime beaucoup le travail de l'École de la Montagne Rouge, lance Philippe Lamarre. À Urbania, on s'est retrouvé au coeur de la discussion autour de la grève étudiante, nos blogueurs se sont beaucoup impliqués. C'est un sujet qui touchait beaucoup notre communauté. On a donc décidé de produire un numéro spécial qui serait une rétrospective des derniers mois, un compendium de morceaux choisis dans tout ce qui a été publié jusqu'ici. On a donné carte blanche aux gens de l'École de la Montagne Rouge en leur disant: voilà les clés du char, amusez-vous.»

Deux commanditaires - l'ONF et la bière Boris - ont embarqué dans le projet. Le résultat: un journal qui sera distribué gratuitement à 20 000 exemplaires lors de la manifestation du 22 juin prochain, à Montréal.

L'ONF n'est pas que commanditaire dans l'aventure, elle produit de son côté un essai interactif, Rouge au carré, une série de 22 tableaux interactifs inspirés du contrat social de Jean-Jacques Rousseau et produits en collaboration avec l'École de la Montagne Rouge et Commun, une agence de création montréalaise. «C'est une prise de parole très ludique, explique Hugues Sweeney, producteur exécutif à l'ONF qui n'en est pas à sa première collaboration avec Urbania. À partir d'éléments tirés des médias sociaux, on voulait souligner la prise de parole et la mobilisation dont nous avons été témoins au Québec cette année.»

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La chronique médias prend relâche pour l'été et sera de retour à la fin août.