Elles étaient une trentaine, hier, réunies dans un petit restaurant de l'avenue du Parc à Montréal pour assister au brunch de fondation de l'Association des femmes journalistes du Québec (AFJQ). Presque 60 ans après la création du Cercle des femmes journalistes, au début des années 50, les journalistes québécoises estiment en effet qu'elles ont encore besoin de se retrouver entre elles pour discuter du métier au féminin.

L'idée est née d'une discussion entre Émilie Dubreuil et Marie-Éve Bédard, toutes deux journalistes à Radio-Canada. «On n'a pas souvent l'occasion de se retrouver entre filles, a expliqué Émilie Dubreuil. On veut créer une association qui va au-delà des guerres entre médias. Peu importe qu'on travaille à Radio-Canada, TVA ou La Presse, on fait toutes le même job. Les hommes réseautent naturellement, ils jouent au golf ou au hockey le soir. Les filles, elles, ne prennent jamais le temps.» «On va définir plus précisément ce qu'on veut faire de l'Association au cours des prochains mois, explique Marie-Ève Bédard. Il y aura des activités et des conférences dès l'automne. On souhaiterait aussi que l'Association favorise une forme de mentorat. Les étudiantes en journalisme seront les bienvenues.»

Plusieurs journalistes de Radio-Canada étaient présentes hier, dont les chefs d'antenne Anne-Marie Dussault et Céline Galipeau. Il y avait également plusieurs pigistes, ainsi qu'une journaliste de l'Agence QMI. Les deux invitées d'honneur étaient deux ex-journalistes de Radio-Canada, Julie Miville-Dechêne, aujourd'hui présidente du Conseil du statut de la femme, et Christine St-Pierre, ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine.

La première a confié s'être demandé si le fait d'être une femme avait compté dans sa carrière, et a ajouté que le réseautage était surtout une activité masculine.

Pour sa part, Christine St-Pierre a affirmé aux femmes présentes que leur nouvelle association serait sans doute appelée à prendre position dans les débats de société, ainsi qu'à présenter des mémoires dans le cadre de commissions parlementaires lorsque l'occasion se présenterait. «Dans la crise qui secoue actuellement les médias, votre voix sera importante», a-t-elle ajouté.

Mais cette voix n'aurait-elle pas pu être entendue par l'entremise de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec? A-t-on vraiment besoin d'une association de femmes journalistes en 2012? «On a fait beaucoup de chemin, mais il en reste encore beaucoup à faire», estime Céline Galipeau, chef d'antenne au Téléjournal de 22h, une équipe composée majoritairement d'hommes. «Quand j'étais plus jeune, j'aurais aimé avoir un endroit pour échanger avec les autres femmes, mais à l'époque, nous étions plutôt en compétition les unes contre les autres», ajoute-t-elle. Pour Cécile Gladel, journaliste pigiste et cofondatrice de RueMasson.com, l'intérêt est d'abord de permettre la rencontre des journalistes permanentes et des journalistes à la pige. «C'est très rare qu'on puisse se rencontrer ainsi pour échanger et se donner des conseils.»

Anne-Marie Dussault trouve pour sa part l'idée d'une association de femmes plutôt sympathique. «Actuellement, je travaille surtout avec des femmes, et je ne peux pas dire qu'être femme est un obstacle, loin de là, assure-t-elle. Mais on fait tout de même face au double standard en ce qui concerne notre apparence. Je reçois des appels et des courriels pour me dire que j'ai l'air fatigué, pour me parler de la couleur de mes vêtements ou de mes lunettes. Je ne pense pas que mes collègues masculins font face aux mêmes commentaires. Même chose quand je fais un hot seat [entrevue plus coriace]. Ça passe moins bien parce que je suis une femme. Un homme sera vu comme étant combatif, alors qu'une femme qui pose des questions difficiles se fait parfois traiter d'hystérique.»

À l'heure actuelle, les femmes sont plutôt bien représentées dans le milieu journalistique. Elles forment un peu plus de la moitié des effectifs et sont majoritaires dans les universités. Mais voilà, plus on grimpe dans la hiérarchie et plus rares sont les femmes. «On ne parle pas du syndrome du plafond de verre, mais plutôt de celui du plancher collant», a lancé Christine St-Pierre, reprenant une expression chère à l'ex-ministre des Finances Monique Jérôme-Forget.

Selon Julie Miville-Dechêne, il ne fait pas de doute qu'un réseau de femmes est une heureuse initiative. «On ne fera pleurer personne avec nos conditions, nous ne sommes pas des travailleuses de la construction qui se font harceler sur leur lieu de travail, souligne-t-elle. La discrimination est plus subtile, elle se fait aussi dans le choix des sujets et des angles de traitement, et il faut pouvoir en parler.»

Pour la journaliste Sophie Langlois, qui couvre le continent africain depuis plusieurs années à Radio-Canada, la motivation de se joindre à cette Association vient de ce qu'elle a vécu durant le printemps arabe. «Avant de partir pour l'Afrique, je n'avais jamais senti que le fait d'être une femme m'avait désavantagée, confie-t-elle. Je dirais même que dans les pays musulmans, cela pouvait être un atout, car les femmes me parlaient plus aisément que si j'avais été un homme. Puis est arrivé le viol de Lara Logan, la journaliste de CBS, place Tahrir. J'ai été choquée par l'attitude de certains collègues à Montréal, qui disaient que CBS avait été irresponsable d'envoyer une belle blonde sur le terrain.» Sophie Langlois a également été frappée de voir qu'on reprochait à Mme Logan le fait de travailler en zone dangereuse même si elle était mère de deux jeunes enfants - chose qu'on ne soulignait jamais lorsqu'il s'agissait de journalistes masculins. «Quand l'organisme Reporters sans frontières a déclaré que les entreprises de presse ne devraient pas envoyer de femmes en Égypte, ça m'a vraiment mise en colère. Tous ces événements m'ont réveillée. Je pensais que je travaillais dans un milieu progressiste, mais j'ai réalisé qu'il y a encore du travail à faire pour éliminer les préjugés.» La prochaine rencontre de l'AFJQ aura lieu à l'automne.