Avant son passage au tout numérique, La Tribune fabriquait dimanche son dernier numéro «papier» dans une ambiance morose et un climat de tension entre salariés et direction.

L'ultime édition datée de lundi, numéro 4903, comporte un cahier de huit pages consacrées au journal lui-même, histoire des 27 années d'existence, avec notamment un trombinoscope de ceux qui ont fait le quotidien.

«Le débat sur la Une a été tranché, elle ne sera pas consacrée à la prestation télévisée de Nicolas Sarkozy, comme l'avait souhaité la direction mais à La Tribune elle-même, dont la fin de l'édition papier est un évènement en soi», déclarait une journaliste à l'issue de la dernière conférence du dimanche matin.

De nombreux témoignages de personnalités sont publiés dans ce dernier numéro et faisaient l'objet, dimanche après-midi, d'une méticuleuse mise en pages.

Lundi matin peu après son arrivée dans les kiosques, La Tribune sera fixée sur son sort. À 9h00, le Tribunal de Commerce de Paris annoncera qui des deux repreneurs en lice l'emportera: le groupe France Economie Régions associé à Hi-Media, ou la Financière patrimoniale d'Investissements. Le premier gardera 50 personnes, dont 31 journalistes, sur 165 salariés, le second 40 salariés, dont 20 journalistes. Mais tous deux comptent abandonner le papier.

«On avait envisagé de consacrer la totalité du journal à son histoire, mais c'était difficile de se mobiliser dans des circonstances pareilles», dit un collaborateur du journal. Sous couvert de l'anonymat, plusieurs journalistes regrettaient l'«ambiance délétère» qui avait prévalu des derniers jours.

«On a reçu, il y a quelques jours, le détail des offres des repreneurs avec quels postes seraient maintenus ou supprimés. Bien que les noms n'y figuraient pas, chacun a pu voir s'il était licencié ou gardé selon les repreneurs», explique l'un d'eux. «Tout le monde se regardait en chiens de faïence, c'était horrible, finalement la direction a permis de crever l'abcès en avouant qu'ils avaient collaboré avec les candidats pour établir ces fameuses listes», a-t-il ajouté.

Si la tension au sein de la rédaction est retombée, celle entre direction et salariés reste vive. «Valérie Decamp, PDG du journal, voulait écrire un point de vue dans le dernier numéro, là, çà a été ''Niet''», rapporte un secrétaire de rédaction.

Autre point de friction, l'organisation par les salariés d'un «pot d'adieu», rassemblant lundi après-midi tous les collaborateurs actuels et anciens de La Tribune qui a provoqué l'ire du PDG.

Deux notes de service particulièrement sèches co-signées par Mme Decamp et Maître Thévenot, l'administrateur judiciaire, invoquent des raisons de sécurité pour refuser l'accès aux anciens du journal. L'amertume et la colère des salariés étaient visibles dimanche à la découverte de ces notes. D'autant que les collaborateurs sont invités à rester chez eux lundi 30 et récupérer leurs «effets personnels avant le 1er février, date d'entrée en jouissance du repreneur», selon la note interne dont l'AFP a obtenu copie.

«Elle n'a vraiment rien compris au monde de la presse et à ses traditions confraternelles», soupire un journaliste.

Sur le site latribune.fr, désormais seul support du journal, la présidente Valérie Decamp s'est quant à elle montrée solennelle: «Une page se tourne pour la presse écrite française. Mais à l'heure où nos rotatives s'arrêtent, l'esprit de La Tribune demeure intact».