Les rotatives de France Soir ont tourné mercredi soir pour une dernière édition, seulement symbolique, d'un journal mythique, passé en 30 ans de leader des quotidiens français à première victime d'une ère numérique incertaine.

L'édition sortie des presses dans la soirée, à l'initiative des seuls syndicalistes qui refusent de voir mourir le journal, n'est cependant pas un vrai dernier numéro. La direction du journal et la rédaction en chef ont en effet annoncé qu'elles ne sortiraient pas le quotidien produit par la rédaction.

«Les locaux et le personnel de France Soir ont été victimes hier d'une action commando violente (...). Les conditions ne sont pas réunies pour réaliser sereinement, aujourd'hui, une édition papier de qualité, dans les conditions éditoriales requises», selon un communiqué interne signé par le milliardaire russe Alexandre Pougatchev, propriétaire du titre.

En raison d'une bataille de procédure entre syndicats et direction et malgré la volonté d'Alexandre Pougatchev d'appliquer son plan, l'arrêt n'est peut-être pas définitif. «L'arrêt définitif du papier n'est cependant pas acté, dans la mesure où le Comité d'Entreprise n'a pas encore rendu d'avis», a précisé la direction, interrogée par l'AFP.

La fin sur papier de ce titre phare de la presse française d'après 1945 intervient donc dans la confusion.

M. Pougatchev, fils de l'oligarque russe Sergueï Pougatchev, avait annoncé en octobre l'arrêt de l'édition papier le 15 décembre, supprimant au passage 89 emplois sur 127.

Les dernières semaines du quotidien ont été ponctuées par des manifestations et des actions syndicales visant à tenter de dissuader le propriétaire du titre. En vain.

Plusieurs actions en justice ont été engagées contre la direction, les représentants du personnel estimant que M. Pougatchev n'avait pas respecté les procédures vis-à-vis du comité d'entreprise pour mettre son plan à exécution.

Les derniers tours de rotatives à Evry, dans la banlieue parisienne, signent la fin d'un journal à l'histoire exceptionnelle, de sa création par des résistants sous l'occupation allemande pendant la Seconde Guerre mondiale à une période particulièrement faste avant d'être ballotté de mains en mains dans un contexte de crise.

France Soir paraît pour la première fois en novembre 1944 dans la clandestinité et devient rapidement le premier journal français, franchissant le million d'exemplaires en 1953.

À la grande époque, France Soir publie sept éditions par jour, plus de 400 journalistes sont sur la brèche. Des centaines d'ouvriers, de cyclistes et de chauffeurs concourent 24 heures sur 24 au succès du titre.

Symbole d'une presse moderne «à l'américaine» - grandes photos, titres «choc», infos-services et bandes dessinées -, France Soir commence pourtant à voir ses ventes reculer.

Pierre Lazareff, son charismatique directeur, disparaît en 1972. Dans les années qui suivent, le journal change de mains à plusieurs reprises. Dernier rachat en 2009 par Alexandre Pougatchev: le jeune milliardaire injecte 75 millions d'euros à fonds perdus, auxquels s'ajoutent une dizaine de millions d'aides publiques.

Un sursaut des ventes, de 20 000 à 80 000 exemplaires, pendant quelques mois, sera suivi d'une valse de dirigeants et de changements de ligne éditoriale. Alexandre Pougatchev, las de renflouer les caisses, a fini par jeter l'éponge.