Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Raphaël Picard, chef du Conseil des Innus de Pessamit.

1 Vous avez dénoncé vigoureusement le Plan Nord cette semaine. Que lui reprochez-vous au juste?

C'est sûr que le Plan est une ouverture du territoire québécois à des fins économiques, industrielles et commerciales et en principe, on n'est pas contre ça. Mais la Première Nation que je représente a des droits ancestraux sur ce territoire et ce qu'on nous propose, c'est d'être partenaires en échange de ces droits. C'est une violation de nos titres et il n'est pas question de valider cela.

2 Tout le monde n'est pas d'accord avec vous et plusieurs communautés ont donné leur accord au gouvernement québécois. Selon vous, se sont-elles fait avoir?

Il y a des nuances à faire. D'abord, les Cris et les communautés inuites ont tous deux signé un traité avec les gouvernements fédéral et provincial dans lesquels ils ont renoncé à leurs droits. Les conventions de la Baie-James et du Nord-Est québécois faisaient en sorte qu'ils ne pouvaient pas ne pas adhérer au Plan Nord. Quant aux deux autres communautés innues, elles ont dit oui au Plan Nord mais sont encore en réflexion quant aux conditions de développement. Enfin, il y a les communautés algonquine et atikamekw qui n'ont pas été invitées à discuter avec le gouvernement québécois. Pourquoi? Vous demanderez au gouvernement.

3 Votre propre frère (Jack Picard) critique votre style et trouve que vous entretenez le secret autour des négociations avec le gouvernement. Qu'en dites-vous?

Nous, on est élus pour proposer des orientations et décider des priorités. Nous avons l'autorité pour procéder et manoeuvrer dans les négociations, nous n'allons pas commencer à venir parler au monde à chaque fois... Quant à mon frère, il a déjà fait partie d'un groupe qui a négocié au rabais avec le gouvernement, alors...

4 Vous exigez 5 milliards de dollars du gouvernement Charest. Sur quoi vous basez-vous pour établir cette somme?

Nous avons calculé les revenus des développeurs, en commençant par Hydro-Québec qui a généré des profits de 45 milliards avec l'exploitation des barrages hydro-électriques, et qui a versé 8 milliards à son principal actionnaire, le Québec. Même chose pour l'industrie forestière qui a généré des profits de plus d'un milliard de dollars et qui a versé des redevances importantes au Québec. C'est sur cette base que nous en sommes arrivés à la somme de 5 milliards. On a actualisé des revenus de l'exploitation de terres qui nous appartiennent et qu'on a utilisées sans notre consentement.

5 Vous avez dit que vous étiez prêt à partir en tournée en Europe. Quel serait votre message?

Le premier ministre Charest a tenu des propos erronés en disant que les Premières Nations étaient partenaires du Plan Nord. C'est faux et nous allons le dire, tout comme nous allons expliquer la façon dont il nous traite quand il est question de droits territoriaux. Les investisseurs qui ont une éthique devront savoir qu'ils ne pourront pas venir ici investir sereinement. Je sors tout juste de l'Assemblée des chefs à Ottawa et ils n'étaient pas tendres à l'endroit du Québec et du Plan Nord qui a été très critiqué.

6 Trouvez-vous qu'en général, les communautés autochtones doivent crier fort pour être entendues par les médias?

Ce n'est pas une question de crier. Je crois que maintenant, devant l'ampleur des enjeux qui sont sur la table, les gens comprennent et sont sensibles à notre cause. Par le passé, nous avons souvent fait la démonstration de l'impact négatif du développement hydro-électrique sur notre territoire et ce n'était pas toujours intéressant à entendre. Aujourd'hui, les gens sont plus réceptifs. À Pessamit, nous avons réussi à donner une valeur médiatique à nos problèmes.

7 Sentez-vous une sympathie pour votre lutte de la part de la population québécoise?

C'est sûr que les gens comprennent mieux les enjeux environnementaux qu'avant. Là où le bât blesse, c'est sur la question de l'exploitation de nos ressources par les entreprises étrangères. Il est facile de céder l'exploitation de nos ressources naturelles sans que les principaux intéressés, c'est-à-dire nous, en tirent avantage. Je ne suis pas le seul à le dire, il y a deux anciens premiers ministres qui disent la même chose que moi. Mais il faut répéter plusieurs fois pour que les gens comprennent.

8 Imaginons un instant que vous receviez une compensation juste et équitable en échange de votre accord pour le Plan Nord. Diriez-vous alors que ce plan est une bonne chose pour le Québec?

Nous avons un projet de gestion du territoire que Québec a refusé et qui s'appuie sur le développement vert, qui n'est pas disgracieux sur le plan environnemental. On imposerait un moratoire substantiel sur la coupe de bois, on abaisserait de beaucoup le volume de coupe. On voudrait également développer une industrie de deuxième et troisième transformation sur notre territoire. Cela deviendrait un atout qui ferait un bien fou sur les plans économique et régional, et qui nous permettrait d'exercer un contrôle sur notre développement. Le développement touristique dont Jean Charest parle pour le Nord, c'est un secteur mou, il n'y a pas de pérennité, là. Il parle de pourvoiries mais une pourvoirie, ça n'appelle pas d'investissement. Nous, on veut participer aux enjeux financiers, au développement industriel et économique de nos ressources. Ça va bien au-delà de l'artisanat et du folklore dont on nous parle.

9 Estimez-vous que le gouvernement agit avec condescendance quand il aborde les questions autochtones?

Je crois que le gouvernement essaie de nous diriger vers un traité dont on ne veut pas. Il voudrait qu'on lui donne des quittances quant aux poursuites qu'on a déposées contre eux. C'est un manque de respect et c'est aussi très paternaliste.

10 Que proposez-vous pour assurer l'épanouissement de votre communauté?

Nous avons une approche très économique, c'est pour ça qu'on s'est attablés avec un projet structurant. Je le répète, nous voulons participer au développement des ressources naturelles tout en développant des industries qui assurent des emplois. Nous voulons participer aux bénéfices et assurer la richesse de notre communauté. C'est certain que nous avons des problèmes sociaux, notre population est jeune, 60% de notre communauté est âgée de moins de 29 ans. Il y a plusieurs défis, démographiques et éducatifs. Il y a aussi des problèmes de dépendance à l'alcool et à la drogue ainsi que beaucoup de suicides. Il ne faut pas ménager nos efforts pour trouver des solutions aux problèmes de nos familles.

TWITTER +1 de Sara-Emm. Duchesne @SaraEDuchesne

Que feriez-vous des milliards que vous demandez au gouvernement?

On participerait au développement économique de la région, on créerait un fonds d'investissement auquel la communauté participerait. Nous vivons dans la MRC la plus pauvre du Québec. Quand on a les moyens financiers, on n'a pas besoin de l'aide de l'extérieur et des investisseurs étrangers pour exploiter nos propres ressources. Nous, on sait comment faire et on serait en mesure de le faire. À l'heure actuelle, le Québec paie pour des infrastructures mais ce sont des entreprises étrangères qui vont venir les utiliser.