La création d'un titre de journaliste professionnel est compromise. La ministre de la Culture et des Communications, Christine St-Pierre, menace d'abandonner son projet de loi à cause du changement de position de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

«Je ne déposerai pas un projet de loi si le milieu journalistique n'est pas d'accord. Moi, je le fais pour le milieu journalistique. Si le milieu journalistique n'en veut pas, on ne le fera pas», a-t-elle déclaré mardi.

Sa tournée de consultation doit se terminer en décembre. Elle traite des suites à donner au rapport Payette sur l'avenir des médias, déposé en janvier dernier. La pierre d'assise est la création d'un statut de journaliste, comme il existe déjà entre autres en France et en Belgique. Selon la ministre, ce titre offrirait un gage de qualité qui distinguerait le travail des journalistes reconnus de celui des citoyens et relationnistes.

En avril dernier, lors d'un référendum, 86% des membres de la FPJQ se sont prononcés en faveur de la création du titre. La FPJQ a déchanté depuis. «Le sujet divise maintenant nos membres», dit son président, Brian Myles.

Il croyait que la FPJQ administrerait ce titre. Mais cela est impossible, selon un récent avis juridique du ministère de la Culture. On ne peut déléguer un tel pouvoir à un organisme à but non lucratif.

Il faudrait donc créer une nouvelle structure. Elle serait contrôlée en parts égales par la FPJQ et le Conseil de presse. Le Conseil est composé de membres du public, des patrons et des journalistes.

«On voulait les deux mains sur le volant. On ne veut pas seulement être passager, on ne sait pas où le véhicule nous conduirait», dit M. Myles. Il précise toutefois ne pas critiquer la ministre St-Pierre, qui répond à un problème juridique. La FPJQ aurait tout de même aimé voir les avis juridiques, qui restent privés.

Mme St-Pierre explique que cette structure serait indépendante et se rapporterait à l'Assemblée nationale plutôt qu'au gouvernement. Mais cela ne rassure pas la FPJQ. Plusieurs de ses positions diffèrent de celles du Conseil de presse. Le Conseil a une approche coercitive. Il propose d'obliger les médias à être membres du Conseil de presse pour que ses employés reçoivent le titre de journaliste. C'est aussi ce que propose le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). «Il faut rappeler que Quebecor a quitté le Conseil de presse [à l'été 2010]», a expliqué le président du Conseil, John Gomery. Quebecor n'a pas encore pris position sur la création d'un titre.

L'ex-juge défend son approche. «Une loi qui n'est pas coercitive ne sert à rien. Tout le monde doit y être soumis, c'est ça, le principe.» Autre froid: le Conseil voudrait permettre à des tiers, comme un employeur ou un syndicat, de porter en appel des décisions de la nouvelle structure. «C'est la base de la justice, il faut entendre toutes les parties», dit M. Gomery. La FPJQ voudrait quant à elle être seule à réglementer le statut.

La FPJQ, qui est un des 20 membres du conseil d'administration du Conseil de presse, déplore aussi avoir pris connaissance du mémoire de M. Gomery en même temps que le public.

Des entreprises de presse comme Cogeco et Gesca, propriétaire de La Presse, s'opposent à la création du titre. Elles craignent une ingérence politique et une entrave à la liberté de la presse. «Même avec des promesses d'un projet de loi limité, les intentions de base peuvent facilement être franchies par de nouvelles attentes qui pourraient rendre encore plus envahissante l'intervention du législatif dans le monde médiatique», a réagi le président de Gesca, Guy Crevier.