Les contenus élitistes destinés à des publics hyper pointus ont-ils leur place dans les médias financés par les deniers publics? Au Québec, Radio-Canada a réglé la question il y a quelques années. La programmation de l'ex-FM (aujourd'hui Espace Musique) a été remplacée par de la musique. Quant aux émissions «à contenu», elles se retrouvent désormais à la Première chaîne et sont beaucoup plus accessibles que ce qu'on pouvait entendre il y a 15 ans sur les ondes du FM de Radio-Canada.

En France, où le marché est beaucoup plus vaste, la question ne se pose pas, semble-t-il. Il faut dire que l'écoute de la radio est formidable: 80 % des Français écoutent en moyenne deux heures et demie de radio par jour...

Dans ce contexte, Radio France occupe une place fort enviable avec des budgets (611 millions d'euros l'an dernier, environ 860 millions de dollars canadiens) qui feraient pleurer d'envie la plupart des patrons de radio ici. Sa programmation n'est pourtant pas facile: des entrevues avec des intellectuels au discours pas toujours accessible, des émissions sur l'art contemporain, la philosophie, la politique internationale.

Résultat: les radios de Radio France (dont France Inter, France Culture et France Musique) n'attirent pas les masses. France Culture, par exemple, est visitée par environ 1 million d'auditeurs par jour, sur une population de 62 millions de personnes. Au total, toutes les stations de Radio France rejoignent environ 13 millions d'auditeurs quotidiennement. On ne peut pas parler de radio grand public.

Pourtant, personne ne déchire sa chemise sur la légitimité de cette radio financée à 100 % par l'argent public et qui comprend une cinquantaine de stations, plus de 4500 employés ainsi que deux orchestres, un choeur, etc. «Nous sommes plus qu'une radio, nous sommes considérés comme une véritable maison de culture en France», observe le président de Radio France, Jean-Luc Hees, de passage à Montréal la semaine dernière pour participer à une rencontre de l'Association des radios francophones publiques.

Depuis qu'il dirige les destinées de Radio France, Jean-Luc Hees dit n'avoir qu'une obsession: les contenus. «C'est bien beau la technique, mais moi, c'est le contenu qui m'intéresse, lance-t-il. À l'autre bout, il y a quelqu'un qui écoute et il faut lui offrir un programme. Il ne faut pas être obnubilé par la technologie. Qu'est-ce qu'on va mettre dans les tuyaux? Il faut que la révolution du numérique soit au service de quelque chose et moi, je dis qu'elle doit être au service des idées.»

«Les Français ont un rapport particulier avec la radio, ce n'est pas simplement un outil d'accompagnement qu'on écoute en voiture, poursuit M. Hees. Il faut donc faire de la radio qui aide à vivre.»

Et par aider à vivre, il ne parle pas d'émissions de service pratico-pratiques, loin de là. Il parle d'émissions sur des sujets difficiles. Jean-Luc Hees demeure convaincu que les contenus élitistes ont leur raison d'être. «On ne peut pas plaire à tous, c'est impossible.»

Cela dit, il faut tout de même plaire à un minimum de personnes. Or Radio France, comme bien des radios à contenus dans le monde, voit son auditoire vieillir. «C'est vrai que chez les jeunes, l'écoute n'est pas terrible, reconnaît M. Hees. Notre auditoire est surtout âgé autour de 45 ou 50 ans.» Comment renouveler son auditoire quand on offre autre chose que le palmarès de l'heure et des émissions axées sur l'humour? Radio France a choisi l'audace en lançant une radio qui s'adresse aux jeunes sur le mode de l'intelligence, une rareté, il faut le dire, dans le paysage médiatique. Le «mouv'«, créé il y a environ un mois, est un genre de France Inter pour jeunes qui propose de la musique, oui, mais aussi des contenus politiques et culturels, une approche inexistante au Québec où les jeunes ont peu d'émissions qui leur sont destinées. «Qu'est-ce que ça veut dire, être jeune? demande le président de Radio France. Je connais des «vieux» qui sont jeunes d'esprit et des jeunes qui pensent comme des vieux. Je crois qu'on peut parler de tout, même de politique, sur un ton et dans un style différents. Les jeunes ne sont pas des imbéciles. Sur le mouv', il y a donc des infos, des débats, de l'actualité et on fait le pari que ça les intéressera.» On aimerait voir une initiative semblable au Québec. Il y a quelques années, Radio-Canada avait lancé Bande à part pour faire place à la musique émergente sur ses ondes. À quand un Bande à part des idées?