La Presse a publié la semaine dernière un dossier consacré au désabusement de la population à l'endroit des politiciens et de la politique en général. Parmi les nombreux commentaires suscités par ce dossier, certains lecteurs montraient du doigt les médias qui seraient, eux aussi, coupables de ce désenchantement généralisé. En entrevue, Lucien Bouchard allait dans le même sens, affirmant que la langue de bois, un des éléments qui contribuent au cynisme, n'était pas seulement la faute des politiciens, mais aussi celle des journalistes. «Les médias sont omniprésents, confiait-il. Agressifs. Durs. Ils prennent une partie de la phrase pour faire une manchette, et la nuance est oubliée. Les politiciens deviennent donc extrêmement prudents.»

Les médias doivent-ils plaider coupable? J'ai posé la question à Philippe Bernier Arcand, sociologue et auteur de l'essai Je vote moi non plus (Amerik 2009) Selon lui, s'il n'y a pas de doute que les médias sont en partie responsables, on ne peut les blâmer pour autant car, dit-il, cela fait partie de leur travail. «Ils déboulonnent le mythe en montrant la personne derrière l'image du politicien, explique-t-il. Résultat: les politiciens d'aujourd'hui ont perdu leur auréole. Ils sont plus caricaturés qu'avant et on les prend moins au sérieux.»

La distance réduite entre la population et les politiciens expliquerait-elle le fait que ces derniers n'ont plus l'auréole qui leur assurait un certain respect? Lucien Bouchard déclarait ne pas comprendre que des politiciens acceptent de sortir de leur «cadre naturel» pour participer à des émissions de divertissement. «Je n'en reviens jamais de voir les politiciens qui se pressent pour participer aux émissions de variétés, disait-il. Ils se banalisent.»

Encore là, Philippe Bernier Arcand émet une opinion différente. «Les politiciens cherchent un endroit pour passer leur message, c'est évident. Je dirais que les émissions de variétés deviennent de plus en plus leur cadre naturel, étant donné qu'il y a beaucoup moins d'émissions d'affaires publiques et qu'elles sont moins regardées. Le problème, c'est qu'en étant partout, ils deviennent omniprésents et qu'ainsi leur parole perd de la valeur.»

«La distance et la méfiance envers les politiciens font partie de la démarche journalistique depuis longtemps, note pour sa part Josette Brun, historienne des médias à l'Université Laval. Le sarcasme et l'ironie étaient aussi bien vivants sous la plume de certains rédacteurs canadiens-français du XIXe siècle, alors que la presse d'opinion politique dominait l'univers médiatique. Puis la règle de l'objectivité journalistique qui s'est imposée à partir du tournant du XXe siècle a fait de la distance face aux pouvoirs en place une norme à suivre pour les journalistes.» Elle ajoute que «les journalistes ont une conscience aiguë de l'importance des "faiseurs d'images", ces relationnistes qui les dépassent en nombre depuis les années 80 et dont l'importance ne cesse de croître. D'autre part, la surabondance de chroniques, billets et blogues qui oblige à commenter beaucoup, souvent et rapidement rend ardue l'analyse approfondie, et rend facile un cynisme qui se vend bien.»

Les chroniqueurs politiques se perçoivent-ils comme faisant partie du problème? J'ai appelé Josée Legault, chroniqueuse à Voir et The Gazette, pour lui demander. Là où plusieurs voient du cynisme, elle voit surtout de la colère actuellement dans la population. Mais elle reconnaît que nous traversons une période de l'histoire du Québec «où, contrairement aux années 60, on assiste à la déconstruction plutôt qu'à la construction de quelque chose». Ce climat, ajoute-t-elle, se reflète évidemment dans le travail des médias et des commentateurs.

«Chacun a sa personnalité et son style, poursuit Mme Legault. Moi-même, je fais très attention dans mes chroniques à ne pas alimenter ce cynisme, à ne pas produire des analyses qui ridiculisent ou banalisent ce qui se passe. C'est sans doute ma formation de politologue.» Désabusés de nature, les journalistes, ou simple reflet d'une époque peu inspirante? Il serait intéressant de réaliser un sondage auprès des journalistes eux-mêmes pour savoir comment ils se perçoivent.