Une nouvelle et dernière saison de Contact, série de grandes entrevues menées par Stéphan Bureau, a repris l'affiche sur les ondes de Télé-Québec. Une belle occasion de s'entretenir avec son idéateur.

Q : Est-ce que c'est encore réaliste, aujourd'hui, de faire une émission de grandes entrevues comme Contact?

R : Des fois, on passe pour des granolas. Déjà, après la première série, on me disait que ce n'était pas réaliste de faire de la télévision comme ça. Or, on aura produit 44 heures de télévision depuis 2005. Aujourd'hui, je pense qu'on a fait le tour du jardin. Le principe de Contact, c'est comme le brocoli: tout le monde sait que c'est bon pour la santé, mais tout le monde ne veut pas en manger. Tout le monde me dit: pourquoi tu ne continues pas, c'est bon. Je leur réponds: mais où étiez-vous? Étiez-vous devant votre téléviseur quand nous étions diffusés?

Q : Antonine Maillet, Victor-Lévy Beaulieu, c'était important, pour vous, de les rencontrer dans le cadre de Contact?

R : Oui, ce sont des monuments que je voulais absolument rencontrer avant de fermer la shop. Il n'y a plus de tribunes où on peut entendre certains de nos plus grands. On ne les entend plus, sauf par bribes. Sans vouloir faire le procès de la télévision, il faut dire que c'est un média qui instrumentalise souvent ceux qui viennent la faire. Si tu es sur un plateau de télé, tu es dans une formule, tu dois servir cette formule et cela laisse peu de place aux individus pour être ce qu'ils sont. Si tu n'es pas performant en gag, si tu ne manies pas la formule qui tue, il y a de bonnes chances que tu ne sois pas de la bonne chair à télé. Est-ce à dire que parce que tu ne fonctionnes pas dans ce format-là, on devrait se priver de ce que tu peux apporter? Je ne crois pas.

Q : On vient de renouveler les règles de financement en télévision. Une émission comme Contact est-elle difficile à financer?

R : C'est un processus de financement complexe et difficile parce que c'est un produit de pointe. Si on était écoutés par un million de personnes, les diffuseurs feraient moins de chichis, ils auraient les poches plus profondes. Les dirigeants de Télé-Québec font déjà l'impossible pour financer ce projet qui, objectivement, n'est pas le plus payant pour eux. Ils le font parce qu'ils y croient, parce que c'est quelque chose qui dure au-delà d'une diffusion, entre autres grâce au site internet et aux DVD. Malgré tout, ce sont de petites sommes qu'ils peuvent mettre là-dessus.

Q : En quoi le contexte télévisuel est-il différent d'il y a 15 ans, lors des débuts de Contact?

R : On ne fait plus la même émission que lorsque nous avons débuté, en 1992. Le rythme de Contact a augmenté de 50 % et, pendant ce temps, le rythme de la télé en général a augmenté de 10 000 %! Contact est à des années-lumière derrière ce qui se fait à la télévision. Aujourd'hui, nos esprits, nos attentes, notre concentration ne sont pas ce qu'ils étaient il y a 20 ans. Même chez les plus aguerris et les plus patients, les habitudes ont changé. On tolère mal un livre de 1000 pages. C'est vrai dans les journaux aussi, où on trouve de plus en plus de grosses photos, avec des légendes costaudes. Je ne dis pas qu'il n'y a plus d'articles, mais ils sont moins longs. Partout, le rythme est plus rapide.

Q : Est-ce que ça signifie qu'il n'y a plus de place pour les émissions et les concepts qui imposent un rythme plus lent?

R : Il ne peut y avoir qu'une vitesse, 150 ou 200 à l'heure. Je n'ai absolument pas de honte à faire 30 000 ou 40 000 de cotes d'écoute. C'est peut-être la limite objective qu'on peut faire avec Jose Saramago, par exemple, qui n'est pas très connu mais qui a un esprit extraordinaire. Est-ce qu'il ne devrait y avoir que des émissions de ce type? Pas du tout. Mais est-ce que tout le reste devrait tuer ce petit carré différent? C'est Marie-France Bazzo qui disait qu'en télévision, la biodiversité est importante, il y a des espèces fragiles qu'il faut protéger. Actuellement, il y a beaucoup de laissés pour compte de la télévision. Le pari, c'est d'aller les rejoindre. Ils sont difficiles à fédérer parce qu'ils ont abandonné. Mais je persiste à croire que cette lenteur, ce que j'ai déjà appelé la slow tv en parlant de Contact, va revenir à la mode. La télévision qui marche, j'en fais, et sans complexe. Avec le gala hommage à RBO, on a fait 1,5 million à TVA. J'en suis très content, très fier, mais ce sont des sports différents qui ne peuvent pas être jaugés de la même façon.

Q : Vous avez été présentateur des deux principaux bulletins d'information de fin de soirée. Aujourd'hui, dans un contexte où on peut s'informer 24 heures sur 24, la formule est remise en question. Qu'en pensez-vous?

R : Je crois que c'est une formule dépassée. La grand-messe n'existe évidemment plus. C'est vrai du bulletin de 18 h 30-19 h chez les Américains, et c'est encore plus vrai à 22 h. La nouvelle, tu la prends au fil de la journée, c'est une vérité de La Palice. Si tu n'as pas été agressé par ton téléphone, par des textos ou par YouTube, quelqu'un t'a appelé pour te le dire. Dans ce contexte, quelle est la valeur ajoutée pour se dire, à 22 h, je vais m'asseoir et écouter ce que je sais déjà? C'est encore utile, mais beaucoup moins. Le simple format, lire des nouvelles, est aujourd'hui banal. Il y a 150 000 stations qui le font 24 heures sur 24. Même le rôle du présentateur n'est plus comparable à ce qu'il était, et je n'ai pas d'état d'âme quand je dis cela. Et je suis encore moins gérant d'estrade, je trouve ça détestable. Mais pourquoi aurais-je besoin d'un grand prêtre pour me dire ce qui se passe dans le monde alors que je suis capable de me faire aller les doigts et chercher tout seul? Maintenant, la question, c'est de savoir quelle est la formule qui serait compatible avec l'humeur du temps et qui serait capable de nous allumer les neurones. C'est la question qu'on se pose, et ce, autant au Québec qu'aux États-Unis.

 

Les choix de Stéphan bureau

> «Je regarde peu la télévision mais beaucoup de «produits» télévisuels. Les séries The Shield, Damages, Mad Men... Je trouve que toutes proportions gardées, il se fait de la meilleure fiction à la télé qu'au cinéma.»

> «Je consomme beaucoup d'information mais rarement en temps réel, à part, cette année, les reportages d'Enquête qui m'ont vraiment fait capoter.»

> «C'est un peu dépassé, mais mon téléphone ne sert qu'à une chose: à téléphoner. Je sais, je suis ringard et fier de l'être.»

> «Je lis les journaux en ligne, les journaux papier le week-end. Quand je veux voir quelque chose en direct, le lancement de l'iPad par exemple, je suis devant mon ordinateur.»

> «Je vais sans doute me faire crucifier pour ça, mais j'écoute CBC Radio 2 à la maison comme dans l'auto, du matin jusqu'au soir.»