Clint Eastwood n'est pas George Clooney. Ni Sean Penn. Encore moins Barbra Streisand. Depuis toujours, le célèbre interprète de Dirty Harry, aujourd'hui âgé de 82 ans, n'a jamais eu honte d'afficher ses couleurs conservatrices, même s'il le faisait habituellement avec plus de discrétion que Jon Voight.

Dans une interview accordée à Patrick Goldstein l'an dernier, publiée dans le L.A. Times, Eastwood a confié avoir voté pour le candidat républicain à toutes les élections présidentielles tenues depuis 1952 (l'année où Dwight Eisenhower fut élu). Il n'y a guère qu'en 1992 que ce libertarien notoire fut tenté de voter autrement. Le candidat indépendant Ross Perot avait failli avoir son appui cette année-là. «Je l'aimais bien, dit-il. J'imagine que c'est parce que j'aime bien les rebelles.»

Même si les allégeances de l'icône hollywoodienne sont bien connues, il reste que son soutien au candidat Mitt Romney et, surtout, sa présence à titre d'«invité-surprise» à la convention républicaine hier ont créé une onde de choc.

Depuis la diffusion, à la mi-temps du Super Bowl, du spot publicitaire Half Time in America, réalisé pour le compte de Chrysler, plusieurs observateurs ont en effet cru que le vénéré cinéaste s'était rangé du côté du président Obama. «Ce pays ne peut pas être mis K.-O. par un seul coup de poing. Nous nous relevons, et quand nous le faisons, le monde entier entend le rugissement de nos moteurs», lançait-il d'une voix rugueuse, qui n'appelait aucune réplique. La Maison-Blanche ayant débloqué des milliards de dollars pour soutenir l'industrie automobile et ainsi éviter la faillite des grands constructeurs; il y avait tout lieu de croire que Clint Eastwood allait mettre ses propres convictions de côté au profit de «l'intérêt supérieur de la nation», sérieusement mise à mal par une grave crise économique.

Dans ces circonstances, son appui à Mitt Romney surprend d'autant plus. Eastwood défend en effet des valeurs sociales progressistes, notamment en regard du mariage entre personnes du même sexe, du droit à l'avortement et de la protection de l'environnement. Mais sa vision de l'économie l'emporte apparemment sur tout le reste.

«Je suis toujours très libéral quand vient le moment de laisser les gens penser par eux-mêmes, a-t-il déclaré au cours de cette même interview au L.A. Times. Mais je suis intraitable à propos de la réduction du déficit. J'étais contre l'intervention gouvernementale pour relancer l'économie. On ne devrait pas sauver les banques et les constructeurs d'automobiles. Si un dirigeant ne sait pas comment rendre sa compagnie rentable, eh bien, il ne devrait pas diriger.»

Beaucoup d'émoi

Les idées de monsieur Eastwood étant connues depuis longtemps, pourquoi alors son appui à Mitt Romney crée-t-il autant d'émoi? D'aucuns avanceront que le Parti républicain s'est outrageusement radicalisé depuis l'arrivée en ses rangs du Tea Party et que, du coup, il n'est plus fréquentable. Aaron Sorkin a même fait dire au chef d'antenne de sa série The Newsroom que les membres de ce mouvement étaient les «talibans américains».

«Pureté idéologique, négociation vue comme une faiblesse, croyance fondamentaliste dans les écritures, déni de la science, incrédulité devant les faits, imperturbabilité face à de nouveaux éléments, peur hostile du progrès...». Visiblement, Sorkin s'est fait plaisir en écrivant cette tirade livrée par Jeff Daniels. Aussi choquante puisse-t-elle paraître aux yeux des conservateurs, qui ne sont pas fait prier pour tirer à boulets rouges sur Sorkin (la couleur du Parti républicain!), il reste que cette frange très radicale dicte aujourd'hui le GOP (Grand Old Party) sur le plan idéologique.

Il est sain que les artistes participent au débat public. Même au risque de perdre certains admirateurs parfois. Ceux qui penchent à droite - et avancent des arguments crédibles pour expliquer leur allégeance - ont d'ailleurs beaucoup de mérite. Parce qu'ils font face à un milieu où il est habituellement de bien meilleur ton de pencher de l'autre côté.

Le cas de Clint Eastwood est toutefois plus troublant. Pourquoi a-t-il senti le besoin de militer de façon beaucoup plus concrète, cette fois? En vantant hier soir les éloges de Mitt Romney devant les partisans de la convention républicaine, et les millions d'électeurs devant leur petit écran, l'acteur cinéaste, lauréat de deux Oscars de la meilleure réalisation (Unforgiven et Million Dollar Baby) a non seulement mis de l'avant les valeurs conservatrices qu'il défend sur le plan économique, mais il a aussi endossé, malgré lui peut-être, les valeurs sociales et religieuses - rétrogrades aux yeux de bien du monde - du Tea Party. Il faudra bien qu'il nous explique cette pirouette un jour...