«Je l'ai encore vu ce matin! Et je vais encore pouvoir le visiter quelques fois à mon retour de Paris!», s'exclame Donna Tartt.

Elle ne parle pas d'un parent ou d'un ami, mais du Chardonneret, toile de Carel Fabritius exposée jusqu'au 19 janvier au musée Frick Collection de New York. «J'ai une relation particulière avec ce tableau», dit la romancière en souriant. Et pour cause. Elle a passé plus de 10 ans en sa compagnie. Façon de parler (ou d'écrire): l'oeuvre d'art est au coeur de son nouveau roman.

Le chardonneret suit les pas de Theo. Theo dont la vie bascule à 13 ans, lorsque sa mère meurt dans un attentat terroriste survenu au musée qu'ils sont en train de visiter. En choc, le garçon quitte les lieux. Emportant une toile. Le chardonneret. Un trompe-l'oeil d'une beauté rare. Faisant à peine 23 cm sur 33 cm. Peint en 1654 par Fabritius. Quatorze ans plus tard, le jeune homme qu'il est devenu se trouve à Amsterdam. Traqué. Par qui? Pourquoi?

Ce roman-fleuve, à la fois initiatique et thriller, méticuleux de détails, mais nerveux en rythme, riche en personnages que l'on aime aimer ou détester, raconte ce destin. Passant de New York à Las Vegas, des boutiques d'antiquité de Brooklyn aux appartements luxueux de Park Avenue, des néons de la ville du péché aux canaux de la Venise du Nord.

Au départ, Donna Tartt voulait écrire sur Amsterdam, à cause de sa première et marquante visite, dans les années 90. Choquée par la destruction des bouddhas de Bâmiyân, en mars 2001, elle désirait également parler de la disparition d'oeuvres d'art. Bref, des bribes d'idées. Des désirs. Des notes accumulées dans des carnets. Comme un oiseau qui fait son nid, la romancière a construit un plan. Qu'elle a suivi. Ou pas. Elle ne s'est jamais empêchée d'explorer d'autres routes, de pousser d'autres portes, en revenant parfois en arrière pour reprendre l'itinéraire original. Ou en adoptant certains détours non prévus. L'odyssée a duré 11 ans.

Destins croisés

Pour ce qui est de l'oeuvre d'art qu'elle placerait au coeur du récit, Donna Tartt n'avait pas fait son choix quand elle s'est mise à l'écriture. «Il me fallait trouver une toile assez petite pour être subtilisée "aisément" et attirante, non seulement pour un enfant, mais aussi pour un garçon.»

Elle a eu le pressentiment qu'elle avait trouvé quand elle est tombée en arrêt devant Le chardonneret de Fabritius. Et elle l'a su, vraiment su, lorsqu'elle a découvert l'histoire du peintre: élève très douée de Rembrandt et maître de Vermeer, l'artiste est mort à 32 ans dans une explosion qui a détruit la majorité de ses tableaux - l'une des exceptions étant Le chardonneret.

«J'ignorais tout de la vie et de la mort de Fabritius, mais que son destin et celui de cette toile fassent ainsi écho à ce qui se passe dans mon roman, c'était incroyablement magique. Il y a des coïncidences comme ça, dans le travail de création. Quand elles se produisent, c'est un signe qu'on fait la bonne chose et qu'on est dans la bonne direction», raconte Donna Tartt qui, elle l'ignorait alors, vivrait une autre de ces coïncidences en cours d'écriture. Elle, douloureuse.

Septembre 2001. Elle avait déjà écrit la scène de l'attentat terroriste au musée (qu'elle ne nomme jamais, mais que l'on sait être le Metropolitan Museum of Art) quand les tours jumelles se sont effondrées. Une scène, à l'origine, difficile à écrire. La confusion de Theo. Les victimes. Le sang. La fumée. «Comme auteur, on est acteur et réalisateur. J'ai "joué" cette scène puis j'ai dû y retourner encore et encore pour en faire le "montage".» Et elle a dû y retourner une fois de plus, au tournant du siècle, des images insupportables en tête.

Son devoir: incorporer, dans l'univers où se déroule Le chardonneret, la conscience des événements du 9 septembre. Avec ces détails, cette texture qui sont sa signature. Dans les faits, les gestes, les lieux. Les gens. Les métiers. Le bonheur. Le drame. Les excès. Afin de créer, tesselle après tesselle, une mosaïque d'envergure byzantine.