La maladie de Sachs sur la médecine en milieu rural, Le choeur des femmes à propos de la pratique gynécologique, Les trois médecins axé sur la formation des docteurs et, maintenant, le tout récent En souvenir d'André sur le suicide assisté : les fictions signées Martin Winckler (Marc Zaffran dans la « vraie vie ») puisent à même le quotidien de l'écrivain-médecin européen installé au Québec depuis 2009. Vous avez dit médecine engagée ?

«Je ne me confie pas facilement, lance tout à trac Martin Winckler au milieu de l'entrevue. J'ai eu des parents aimants, mais occupés par d'importants problèmes, et je n'ai pas eu d'ami intime à qui raconter ce qui m'importait. Tout ce que j'ai besoin de dire, de raconter, je l'ai donc mis et le mets encore dans mes livres.»

Or, Martin Winckler en a manifestement long à dire quand il s'agit de la relation médecin-patient, du rapport à la douleur, des questions éthiques qui se posent aux « soignants » et aux « soignés »

Ce qu'il a eu besoin de raconter cette fois-ci dans un de ses « confidents » de papier ? La vie d'un médecin spécialisé dans la douleur, Emmanuel Zachs, à qui certains de ses patients demandent de l'aide pour mourir.

Ce qu'on nomme habituellement « suicide assisté ».

Dans En souvenir d'André, les patients de Zachs sont tous des soignants devenus à leur tour des malades, qui veulent « fuir la vie » pour des raisons précises. Mais ils ont pour cela besoin de « dire » leur vie à quelqu'un, en l'occurrence à ce docteur discret, dévoué, efficace, prêt à les aider. Et qui les écoute attentivement avant qu'ils ne meurent, afin de noter leurs mémoires et leurs secrets dans de petits cahiers anonymes.

Roman de l'intime

L'auteur Martin Winckler, quand il s'appelle Marc Zaffran, est né en Algérie il y a 58 ans, élevé en France où il est devenu médecin, mais aussi chroniqueur, blogueur et écrivain (20 romans, 10 essais). En 2009, il devient résident permanent au Canada à 55 ans, avec compagne et huit enfants (famille reconstituée oblige), pour s'intéresser à la bioéthique (à l'Université de Montréal), enseigner la littérature, tout en étant auteur en résidence à l'Université d'Ottawa. Il est même question qu'il retourne à la pratique médicale...

Une de ses sources d'inspiration pour En souvenir d'André est le travail de l'universitaire et auteur Philippe Lejeune : « Lejeune s'intéresse depuis longtemps au journal intime et à l'autobiographie, explique l'écrivain-médecin, et il a mis sur pied un site [autopacte.org] ainsi que l'Association pour l'autobiographie (APA) : les gens peuvent y faire lire et préserver leurs textes personnels inédits, qui resteront souvent anonymes ; ils peuvent y relater leurs souvenirs, leur vie et leurs secrets, accompagnés d'instructions précises sur la diffusion de leurs écrits après leur mort », ajoute le disciple d'Hippocrate et de Molière.

« Toutes ces histoires personnelles qui jalonnent En souvenir d'André, reprend-il, ce sont comme autant de petits contes ou de fables, comme une mini-version contemporaine des Mille et une nuits ou des Contes de Canterbury ou du Décaméron : des histoires pour apprendre à vivre et pour apprendre à mourir. En laissant ses patients dire leur vie et choisir leur mort, le personnage d 'Emmanuel Zachs leu r permet de tisser leur propre tissu funèbre»

Winckler le reconnait, c'est le premier de ses romans qui n'est pas fondé essentiel lement sur son expérience personnelle. C'est peut-être ce qui fait d'En souvenir d'André un roman moins incarné, moins « engageant » et v ibrant que ses précédents. Mais un roman tout aussi pertinent par ses réflexions sur la pratique de la médecine (« Sauver la vie était le blason de ces médecins ; donner la mort, un privilège de leur caste »), sur la douleur (« La souffrance abolit tout jugement ») et, par la bande, sur la littérature (« L'absence de l'autre est un enfer aussi »). Un livre ouvert, qui se termine sans point final comme cette entrevue

En souvenir d'André, Martin Winckler, P.O.L., 196 pages, *** 1/2

Extrait : «S'ouvrir sans questionner, écouter sans interrompre, entendre sans juger. Expliquer. Apaiser. Soulager. Je pensais, depuis longtemps déjà, qu'il n'est pas nécessaire d'être un professionnel pour accompagner celui qui choisit de mourir. Veiller fait partie de l'expérience humaine. Les derniers moments d'un homme sont sublimes. J'ai eu envie de défendre l'idée. Alors, j'ai écrit un livre.»