Le destin d'Eitan Enoch, Croc pour les intimes, a été écrit d'avance. Son nom est une déformation de Hanokh, père de Mathusalem, qu'on n'est jamais parvenu à tuer - pendant un bon bout de temps, en tout cas.

Le roman tragicomique de l'Israélien Assaf Gavron, Croc Attack, se passe à l'époque des attentats suicide contre des cibles civiles en Israël. Notre Eitan a une particularité: il assiste à chaque attentat, et chaque fois il survit. Il sort de l'autobus avant l'explosion. En voiture, la balle tue son passager sans le toucher. Il change de place au café et la fille qu'il courtisait est tuée, pas lui. Quand viendra son tour?

En décrivant le sort singulier d'Eitan Enoch, le jeune auteur israélien Assaf Gavron nous donne un portrait de société. Tout est fragile, tout le monde est sous pression. Après quatre ans de vie commune, Eitan et Douchi décident de se marier. La veille du mariage, la mère de Douchi est morte, et le lendemain était le 11 septembre. Ce qui prouve que Croc n'est pas chanceux en tout. Depuis qu'il est devenu, sans le vouloir, un trompe-la-mort, sa vie domestique s'est transformée en crise d'hystérie permanente, un peu comme le reste du pays.

Chaque attentat apporte son lot de coïncidences. Dans l'autobus qu'il a quitté à temps, Eitan a fait la connaissance de Guiora Guetta, qui n'a pas survécu. Son téléphone sans fil, si. Par cet appareil, Eitan retrouve Shouli, blonde de Guiora, à qui il a promis de transmettre un message en cas de malheur, et Shouli mourra à sa place au moment de l'attentat dans un café à Jérusalem. Bien sûr, le talent qu'a Eitan de tromper la mort lui attire des ennuis. Tout le monde réclame le miraculé, on veut qu'il soit porte-parole pour toutes sortes de causes, bonnes et mauvaises, et grâce à sa notoriété, il apprendra l'existence d'un groupe de parieurs qui mise sur le lieu et les résultats du prochain attentat. Mourir est un vrai sport dans cette société.

Ce qui distingue Croc Attack d'une simple comédie politique, c'est la présence et la voix de Fahmi, jeune Palestinien qui préfère les rendez-vous galants dans des grottes avec sa blonde Rana aux actes héroïques destinés à la libération de son peuple. Mais par la force des choses, Fahmi glisse vers le terrorisme. La description de ses conditions de vie nous aide à comprendre le désespoir et la colère qui poussent des gens à agir de la sorte, et finalement c'est ça, le coup de génie d'Assaf Gavron, romancier israélien: avoir donné une voix convaincante et sympathique à celui qui est perçu comme l'ennemi. C'est aussi la force de tout bon roman. Les jeunes romanciers sont-ils la voie vers la paix au Moyen-Orient?

Croc Attack, de Assaf Gavron. Rivages, 377 pages