Après Denise Boucher, plus tôt cet automne, une autre vieille indignée a pris la plume pour brasser légèrement la cage de notre confort. Andrée Ferretti, 77 ans, nous a probablement donné le personnage le plus libre de la saison littéraire avec Fleur Després, photojournaliste, artiste, mère et amoureuse sans entraves, héroïne de Roman non autorisé, sa sixième oeuvre de fiction.

Militante indépendantiste de la première heure, celle qui a été vice-présidente du RIN avec Pierre Bourgault est aussi auteure de romans - son premier, Renaissance en Paganie, a été publié en 1987. «C'est ma principale occupation depuis une quinzaine d'années, dit-elle, mais pour moi, l'action militante est toujours allée de pair avec l'écriture.»

Par des discours, des essais ou des recueils, dont Les grands textes indépendantistes, anthologie qu'elle a réalisée avec Gaston Miron, rien n'a échappé à son analyse. «Je pense cependant que c'est la fiction qui permet de s'approcher le plus de la vérité. Un essai permet de cerner une réalité dans son immédiateté, un roman permet d'aller au fond des choses.»

Elle y va pleinement avec Fleur Després, personnage lumineux né à Lac-Saguay le jour de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale et dont le destin sera étroitement lié à celui du Québec dans ce livre court - à peine 150 pages - et fluide, qui va à l'essentiel.

«Je placote beaucoup, mais quand j'écris, j'ai une cohérence interne, une vision du monde qui me permet de structurer les choses. Et je n'ai pas envie de parler du quotidien. Le quotidien, c'est pour la vie», explique l'auteure qui se réclame de Philippe Sollers et Victor-Lévy Beaulieu, «dont les romans sont souvent de fols essais et les essais, de savants romans», écrit-elle.

La joie de la liberté

Le roman non autorisé est donc celui d'Aline Ferron, jeune auteure qui décide d'écrire la biographie de Fleur Després malgré son refus de collaborer. Elle raconte alors son histoire telle qu'elle la perçoit, en la narrant à la première personne, celle d'une femme qui a parcouru le monde comme photojournaliste, fille attentionnée, mère aimante et amoureuse passionnée qui n'a jamais mis de frein à ses désirs.

«C'est un roman sur la joie et la liberté. Ou plutôt sur la joie de la liberté. Si une seule phrase devait le résumer, ce serait celle-là.» Un discours à contre-courant de celui des jeunes générations d'auteurs, dont les personnages sont sans attache, oui, mais qui ont la chair plutôt triste. Mais qu'est-ce que la vraie liberté? «Être fidèle à soi, vouloir être soi, et agir en conséquence. Il n'y a pas de liberté sans joie, mais aussi sans responsabilité.»

Il faut être en contact avec l'énergie bouillonnante d'Andrée Ferretti pour comprendre à quel point la liberté est un état d'esprit pour elle - adepte de la «folie créatrice» de Spinoza, qu'elle a découvert à l'âge de 42 ans, elle en applique la philosophie dans Roman non autorisé, roman féministe sans le vouloir.

«C'est Louky Bersianik (l'écrivaine féministe morte il y a deux semaines) qui, la première, m'a fait prendre conscience de la nécessité de la lutte féministe. Même si je n'ai pas milité dans les groupes, je l'ai été dans ma vie. Je ne me suis jamais sentie intimidée, et pour moi, il a toujours été naturel de faire ce que je voulais. C'est vrai que j'ai toujours été assez effrontée!», dit-elle en souriant, précisant que sa vie a quand même été plus rangée que celle de Fleur Després.

Toujours lutter

«On naît en se battant, et on se bat jusqu'à notre dernier souffle»: lutter pour une cause est aussi une seconde nature chez Andrée Ferretti. «Je pense qu'on est moins indigné et moins en colère quand on agit sur le terrain. Parce qu'on a un peu l'impression de changer les choses.» Elle vient d'ailleurs tout juste de lancer un blogue indépendantiste pour femmes, son lieu de combat du moment.

Comme elle, Fleur Després est d'ailleurs un personnage continuellement en lutte: pour elle, pour son pays. Ainsi, on ne peut s'empêcher de faire le parallèle entre les deux - le personnage, par exemple, a fait de la prison pendant la crise d'Octobre, tout comme l'auteure. Elle assure pourtant que si elle a puisé profondément dans ses émotions pour l'écrire, Roman non autorisé est une véritable fiction. La preuve: elle n'a jamais pris une photo de sa vie!

Des gens connus servent cependant de référence - on y parle de Gaston Miron, de Pierre Vallières, de Louky Bersianik -, d'autres personnages sont «tissés du fil» de ceux qu'elle a rencontrés. On s'approche parfois du roman à clés avec les amants de Fleur qui, s'ils ne sont pas nommés, peuvent être reconnus facilement et sont mis en scène dans des situations, disons, intimes - ne comptez pas sur nous pour vous dévoiler des noms ici.

«Il fallait les rendre vivants, et pour ça, il fallait aller au-delà de leur discours», dit-elle, surprise par notre surprise. «Moi, ça ne m'a pas gênée du tout. De toute façon, ils ne sont pas universellement connus. Pour les jeunes, par exemple, ce sont vraiment des personnages!»

Et évidemment, elle ne répond pas à notre question plutôt directe sur le lien entre la réalité et la fiction. «À vous de décider», dit-elle, sibylline.

Ce qui est clair, c'est que pour elle, liberté sexuelle et liberté des sentiments vont ensemble. «Sinon, il y a quoi? Je me dis aussi qu'il y a tellement de monde sur Terre, il n'y a pas juste une personne qui peut nous apporter du bonheur.» N'empêche que le mode de vie de Fleur demande beaucoup d'ouverture d'esprit. «Je sais... Peut-être que ça ne se peut pas finalement. C'est de la fiction, n'est-ce pas?»

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Roman non autorisé

Andrée Ferretti

l'Hexagone, 153 pages