Il y a plusieurs définitions du courage chez l'écrivain, et parmi elles je trouve celle-ci: le courage, c'est cette capacité de quitter le livre qu'on sait écrire, qu'on a déjà écrit et qui a connu le succès, pour suivre un autre livre plus difficile qu'on ne sait pas encore écrire. Est-ce que cette formulation a l'air d'une énigme zen? Parole d'écrivain, je vous assure que c'est vrai.

Le romancier mexicain Jorge Volpi, très connu en Europe et en Amérique latine (à lire: La fin de la folie, Le temps des cendres, À la recherche de Klingsor), mais ignoré ici, vient de sortir un tout petit récit qui renverse la vapeur chez lui. Ses romans sont habituellement des briques, des constructions massives appuyées sur l'étude d'une époque (les années 60 en France et la fin du régime soviétique pour les deux premiers) et une recherche impeccable. Et voilà qu'il publie ce roman intimiste, dans lequel le sort d'un amour difficile à Mexico et l'histoire d'une jeune Irakienne se rejoignent.

 

Comment fait-il, Volpi, pour que ces deux régions du globe se touchent? À vrai dire, elle ne se touchent pas, au sens concret. L'Irak commente l'amour difficile d'un couple bourgeois mexicain, si vous voulez, mais pas pour lui dire, «vous ne connaitrez jamais la souffrance comme moi je la connais», mais tout simplement pour rappeler à Ana et à l'homme qui partage certaines de ses nuits que le monde est plus vaste que leurs problèmes.

Et pourtant, il n'y a rien de factice dans le dilemme de ce couple. Tout est senti, les pouvoirs d'observation de Volpi sont impeccables, et son personnage lui ressemble comme un frère. Il voit dans le couple une lutte de pouvoir permanente qui passe par des jeux de domination. Ana domine par ses crises, ses excès; l'homme par ses retraites stratégiques et ses absences. Ses faiblesses devant la chair d'Ana sont magnifiques, car il détaille amoureusement sa peau, son haleine, son duvet.

Entre-temps, en Irak, Leïla, qui a perdu son mari, son père et son enfant au début de la guerre «libératrice» des Américains, traverse le paysage ruiné du jardin dévasté du titre. Évitant des commandos suicide et des marines imberbes, Leïla a comme seul protecteur et compagnon un djinn, un esprit des déserts qui arrive et qui s'en va comme le vent chargé de sable. La magie du djinn assurera sa survie.

Lequel jardin est le plus dévasté? Celui de l'Irak martyrisé, ou bien celui de l'auteur de ces confessions? Il serait trop simple de prétendre que les blessures au coeur de ce couple ne sont rien comparées à l'enfer que vit l'Irak. Chez Volpi, il n'y a pas de souffrance sans honneur, et sans poésie. Un récit poétique qui va à l'essentiel.

Le jardin dévasté

Jorge Volpi, traduit par Gabriel Iaculli Seuil, 167 pages, 35,95$

****