Épris d'absolu et d'un romantisme taillé dans une langue cristalline, Andreï Makine évoque la nostalgie d'un temps révolu et le dénuement de l'homme en face de l'horreur du stalinisme dans un roman fort et envoûtant. Plaidoyer pour la beauté d'une époque diabolisée, La vie d'un homme inconnu fait revivre l'ère soviétique, un chapitre tragique et en même temps sublime de l'histoire russe. Makine poursuit, après le Testament français (prix Goncourt et Médicis, 1995), La musique d'une vie et La femme qui attendait, son voyage au bout d'une Russie qui le fascine et constitue le point focal de son oeuvre humaniste, dense et poétique.

Choutov, un écrivain dissident russe exilé à Paris et dégoûté par l'esprit arriviste du milieu littéraire parisien, retourne sur sa terre natale après sa rupture avec une jeune Française. À la recherche d'une âme russe disparue et d'un amour de jeunesse, il découvre que la femme qu'il aimait a changé. Elle fait désormais partie des nouveaux riches qui «pastichent les modes occidentales». Choutov peine à reconnaître cette Russie de Poutine proche de celle des tsars, une Russie faste et riche, interrompue par la funeste parenthèse soviétique.

 

Dans son désenchantement, Choutov rencontre Volski, un vieil homme qui a connu le siège de Leningrad, la guerre et le goulag. Devenu muet après avoir enterré sa vie marquée par le stalinisme, Volski porte la mémoire de l'atroce ère soviétique. À travers le puissant récit de cet «homme inconnu», Makine fait le pari risqué d'humaniser cette période noire de l'histoire russe où l'homme est réduit à l'essentiel, au dépouillement total, et découvre le bonheur de la dépossession, de l'amour et de la fraternité.

Durant le siège de Leningrad, Volski et Mila vont jouer dans un théâtre, où les acteurs meurent pendant les représentations. «Leur vie se confondait avec le théâtre», peut-on lire, «ceux qui chantaient sur scène et ceux qui écoutaient dans la salle avaient en partage la mort. L'illusion scénique créée si près du néant devenait d'une vérité souveraine». En plein coeur de l'horreur, le superflu fout le camp. De la tragédie ne subsiste que l'essence. Thème de prédilection chez Makine, ce retour vers un état primaire de l'humanité constitue un acte de résistance contre la perte de la spiritualité. Durant l'ère soviétique, on vivait autrement, on aimait différemment, semble-t-il. Roman à la mémoire de ceux qui ont vécu une autre Russie, une autre époque, La vie d'un homme inconnu vibre d'un espoir en une humanité fraternelle menacée de perdre son âme, à laquelle Makine voue un culte indéfectible.

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La vie d'un homme inconnu

Andreï Makine Seuil, 2009, 293 p. 32, 95$

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