Bon an mal an, Jean d'Ormesson nous écrit une lettre qui semble toujours la même, c'est vite dit, parce qu'elle parle du monde, de la littérature, de l'amour, et de Lui-même... Après tout, n'avait-il pas inventé ce très joli titre pour l'un de ses livres: Dieu, sa vie, son oeuvre? Se prendrait-il pour Dieu? C'est encore vite dit. Que non. Sa modestie pourrait être qualifiée d'évidente, est pourtant incroyable. À chaque chapitre, il détruit gentiment les sentiments et les rêves de grandeur qu'il a exposés. Une entreprise de démolition du Moi, par un moi exacerbé.

C'est donc une sorte d'autobiographie dans laquelle l'auteur ne cesserait pas de dire sa déception. S'apercevant très vite que les rêves qu'il eut, jadis, il n'a pu les atteindre. Que les grands écrivains qu'il espérait égaler, ils le laissent sur place comme un boiteux coureur. Mais le plus intéressant de ce livre me semble la biographie du monde, dans laquelle nous apprenons qui a mérité une place sur l'autel de l'amour, de l'intelligence, de la science, des arts... Au fur et à mesure que le petit Jean d'Ormesson nous raconte sa vie, en dévoilant les noms de ceux qui l'ont illuminée, qui l'ont fait paraître belle et bonne -et ne se retenant pas de moquer ceux qui ne lui apportèrent rien.

 

Sur la littérature? «La littérature vivante d'aujourd'hui, qui m'a si souvent emmerdé avec son sérieux implacable et son pédantisme expérimental et toujours avorté (...) je l'envoie se faire foutre avec beaucoup de gaieté.» À son âge, on se permet les gros mots.

Sur les femmes? «Les espérances sont comme les femmes: les plus belles ne sont pas plus inaccessibles que les autres.» On sait qu'il n'a pas manqué de les investir, et ne se gêne pas de leur donner du pluriel.

Ce serait une sorte de dictionnaire, ce livre, dans lequel les entrées porteraient, par exemple, sur l'ennui et la paresse, «La paresse, rien de plus clair, est la mère des chefs-d'oeuvre»; sur la poésie, «La poésie me transportait» (et suivront les citations les plus belles de tous les siècles et de tous les pays); sur Rome et Venise, «Rome est blanche, Venise est rouge»... Ainsi donc, les récits biographiques seront chaque fois un prétexte, une sorte de prélude pour nous faire pénétrer dans cette histoire du monde, du big-bang jusqu'à nos jours, voire jusqu'à demain. Le monde, sa vie, son oeuvre, en somme. C'est, on le dira volontiers, un excellent procédé. On ne peut laisser tomber aucun de ces courts chapitres, tous passionnants.

Qu'ai-je donc fait

Jean d'Ormesson Robert Laffont, 368 pages, 29,95$

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