Un bâtard handicapé qui ramasse des bibelots dans les ordures pour construire une crèche de Noël permanente dans le taudis où il habite. Un obèse alcoolique qui cherche pathétiquement à reconquérir la femme qu'il a perdue après la mort de leur fille. Un travailleur social dépressif qui a du mal à concilier ses grands principes moraux avec le désir qu'il éprouve pour la femme de son seul ami. Un adolescent cancre et esseulé qui n'a personne d'autre au monde que son père nazi et chômeur.

Les univers qu'imagine Niccolò Ammaniti n'ont jamais été réjouissants. Mais son dernier roman, Comme Dieu le veut, atteint des abysses d'abjection. De cette fange, comme à son habitude, l'écrivain romain tire des gemmes de véracité et d'évolution psychologique. Cela lui a valu le prix Strega, le plus prestigieux d'Italie.

 

«Toute la rage que Cristiano avait au fond de lui fondit comme la neige qui était tombée cette nuit. Et il eut une envie terrible de serrer son père dans ses bras.»

Cristiano forme avec son père, Rino, un couple symbiotique oscillant entre l'amour et la haine. Rino est violent et craint que son fils ne soit pas assez endurci pour affronter le monde. Il craint aussi que la DPJ italienne lui enlève Cristiano parce qu'ils vivent dans un taudis et que lui-même est alcoolique. Cristiano déteste les mauvais traitements et les rages éthyliques de son père, mais sait jusqu'au bout de ses ongles leur dépendance affective mutuelle.

La trame hétéroclite est tracée de main de maître par Ammaniti, qui multiplie les personnages et les vignettes sociales n'ayant en apparence aucun lien avec l'histoire principale, mais qui lui donnent en fin de compte une charpente puissante. Autour du père et du fils s'agitent deux compagnes de classe aguicheuses de Cristiano et les deux épaves qui sont les seuls amis de Rino. La constellation est complétée par une dizaine d'autres personnages secondaires tout aussi pittoresques et bien campés.

Ammaniti met en scène sans complaisance, mais sans porter de jugement, les pires des préjugés. Il a le chic pour les situations abracadabrantes: la banane géante qui sert d'enseigne à un camping se détache durant une tempête et transperce la maison-roulotte où s'étreint le couple adultère; l'amant, qui a obtenu un miracle en échange de la promesse à Dieu de ne plus revoir son aimée, se retrouve dans un embouteillage devant un moine franciscain dans sa Renault Espace, et décide de se confesser sans plus tarder. Une foi populaire traverse en filigrane ce monde résolument amoral, ce qui laisse songeur dans un Québec qui se débarrasse de son passé catholique. Malheureusement, la fin est un peu chancelante, comme si les 150 dernières pages n'avaient pas été bien revues par l'éditeur.

Comme Dieu le veut

Niccolò Ammaniti Grasset, 542 pages, 32,95$

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