Ying Chen se fait indécente avec Un enfant à ma porte, un pavé dans la mare des discours vertueux sur la maternité bienheureuse.

Toute menue, l'air réservé, Ying Chen n'a pourtant rien de soumis. Une fois la glace brisée, elle entame la conversation avec une franchise inébranlable. De passage à Montréal, l'écrivaine d'origine chinoise vivant à Vancouver fait le pari de raconter l'arrivée d'un enfant dans la vie d'un couple comme un fardeau, le cauchemar d'une femme qui découvre les affres de la maternité. Après avoir décortiqué la figure de la mère dans L'Ingratitude (Actes Sud, 1999), l'auteure s'attaque ici aux discours idéalistes sur le fameux instinct maternel.

 

Pour Ying Chen, mère de deux garçons, le tabou de la maternité difficile est un fléau menaçant. «J'ai vu beaucoup de femmes avec des enfants qui trouvent ça difficile, mais c'est tabou de le dire. Il y a le jugement de la société, mais aussi le jugement des mères sur elles-mêmes, leur culpabilité. Elles doivent sortir du silence», croit l'auteure en lutte contre l'interdit qui muselle les mères.

Stérile, la femme du roman voit son rêve d'enfanter transformé en une réalité cauchemardesque avec l'arrivée d'un enfant abandonné au pas de sa porte. Cette mère adoptive exprime sans réserve sa peur de l'enfant et de manquer à son rôle de mère. Cette femme frôlant la folie, accablée par la culpabilité de ne pas sentir l'instinct maternel, finit par emprisonner son enfant dans sa chambre. «La mère veut couver l'enfant, avoir le contrôle sur ce qu'elle fait», explique l'auteure. «J'ai vu des familles où les deux parents travaillent et dès qu'ils sont fatigués, ils mettent les enfants devant la télé. Ce n'est pas une solution», croit la romancière.

Incommodante, Ying Chen ose donc dire tout ce qui rend la maternité épuisante, voire aliénante. Elle écrit qu'«il y a un immense prix à payer pour devenir mère», que c'est «une maladie sans remède», une servitude qui compromet l'individualité. En d'autres mots, l'auteure dit que l'instinct maternel n'est pas un don du ciel. «L'amour absolu n'existe pas, l'amour maternel est un concept abstrait, religieux», explique la romancière qui invite à prendre en considération le contexte social et les conditions matérielles pour comprendre la situation des parents.

À travers cette mère indigne, le roman questionne notre capacité de sacrifice à une époque où règne la «mentalité de l'instant» qui ne s'accorde plus avec la reproduction humaine. «Nous avons besoin de 18 ans pour élever un enfant, mais les couples durent de moins en moins longtemps. On vit dans un monde qui valorise l'instantané, mais les humains prennent du temps à mûrir. On dirait que toute la vie moderne est contre l'instinct. En apparence, on a la liberté de faire autant d'enfants qu'on veut, mais on est contraint par beaucoup de choses», observe Ying Chen. «Les femmes qui choisissent de ne pas avoir d'enfant vont contre l'instinct. Dans la nature, tout est concentré vers la continuation de l'espèce. Il n'y a que l'homme qui s'y oppose», s'inquiète-t-elle.

L'individu contre l'humanité

Selon elle, il est difficile de jouir de la maternité aujourd'hui parce que la valeur individuelle domine. Son personnage craint littéralement d'être dévoré par l'enfant. «Elle observe le ver à soie, qui meurt d'épuisement après avoir enfanté, et ne veut pas mourir comme lui. Dans la vie humaine, les femmes vivent plus longtemps, mais c'est le même cycle. Le vieillissement coïncide avec l'enfantement.»

Au-delà du portrait cruel sur la maternité, Ying Chen pose avec ce roman la question de l'avenir de l'être humain dans un monde égoïste. Le personnage du père adoptif affirme que «l'espèce humaine ne doit pas continuer à tout prix, qu'elle peut disparaître à jamais». En face de ce cynisme glaçant, Ying Chen s'alarme: «Je suis fâchée parce qu'on parle de la protection des animaux, des plantes, mais à notre époque où l'individu est placé si haut, l'espèce humaine est négligée.» Dur et cinglant, certes, son roman a le mérite de montrer la maternité sous son vrai jour.

Un enfant à ma porte

Ying Chen Boréal/Seuil, 2008, 19,95$