Quand ses flèches nous titillent, nous feignons de croire qu'Éros en mène large sur Terre et dans nos vies. Il faudrait apprendre à penser plus loin que nos sens, tout en les cultivant pieusement, afin d'étendre au-delà de nos petites personnes l'empire du dieu joufflu, sans négliger pour autant Himéros, charmante divinité qui depuis les hautes cimes de l'Olympe entretient le désir. Si le projet semble ambitieux, sa nécessité et son urgence s'imposent absolument.

Pour nous tous, il s'agit de rien de moins que d'inventer, inspirés par le spectacle désolant de la Terre et de ses lieux (qui, soumis à des sévices incessants, sont défigurés au nom du progrès, cette bébelle libérale et néolibérale qui autorise tous les massacres), une relation amoureuse entre l'Homme et son habitat, réciproque il va de soi, dont l'émotion et la beauté seront les noyaux durs.

 

Ce lamento dans le désert correspond-il exactement à la thèse que Luc Bureau, géographe et homme de vaste culture, défend dans son plus récent ouvrage, Terra erotica? Entre tout texte et ses lecteurs, il y a la donnée objective, c'est-à-dire des mots qui disent des choses, mais il y a aussi le parcours singulier, pas si rare, de ceux qui pour se rendre au mot fin et refermer le livre, empruntent sans états d'âme le chemin des écoliers.

Bien sagement, et sa manière d'être sage n'interdit ni l'humour ni la poésie, l'essayiste s'est offert le plaisir de recenser les mots de nature que le corps a adoptés et les mots du corps qui ont leur origine dans les faits de nature. Ces emprunts lexicaux et sémantiques sont innombrables. M. Bureau en a en quelque sorte mesuré l'usage, en puisant autant dans les sciences que dans les littératures en tous genres. Ne nous étonnons pas d'y rencontrer à la fois Alphonse Allais, Pierre Lous, Jean-Guy Pilon, Richard Desjardins et cent autres.

Si donc la nature et le corps sont liés par ce qu'il y a de plus profond, de plus intime et de plus nécessaire, les mots, c'est qu'ils ont des choses à se dire! Le roseau pensant, qui n'est pas une plante mais un humain équipé d'un cerveau, a la possibilité de se servir de sa tête, et de son coeur s'il en a, soit pour assujettir la nature selon ses caprices anthropocentriques, soit pour établir avec elle des liens amoureux. L'homme est mortel, la nature aussi. Pourquoi venger l'humiliation de mourir en détruisant le milieu qui a su accueillir le vivant? Mieux vaudrait, sous l'égide de quelques dieux mythiques, inventer une meilleure manière «de rêver et d'habiter la planète».

TERRA EROTICA

Luc Bureau Fides, 240 pages. 24,95$

****1/2