Vous êtes ici, à Montréal. Bistros huppés, rues du Plateau, cafés fréquentés par des paumés, nuits mouvementées. Tout semble réel, reconnaissable, familier. Mais quelque chose cloche. Le gars dont on s'apprête à suivre l'histoire semble différent. Attablé dans un café, en pleine nuit, reprenant son souffle après avoir fui un personnage des plus inquiétants, le voilà qui verse le contenu d'un sachet de sucre sur sa table, puis dessine un symbole magique représentant «la clarté d'esprit». Le ton est donné. Une brêche vient de s'ouvrir. Ou plutôt, une mince fêlure au flanc du monde, par laquelle l'extraordinaire commence tout doucement à s'infiltrer.

Vous êtes dans l'univers d'Éric Gauthier, conteur de son métier, Abitibien errant, informaticien défroqué, peut-on lire dans la notice qui clôt son livre. Né à Rouyn en 1975, auteur de nouvelles éparpillées dans des revues spécialisées, mais tout de même récipiendaire du Grand Prix de la science-fiction et du fantastique québécois pour un recueil de contes, Terre des pigeons, et à deux reprises, du prix Solaris, et il se met aujourd'hui au roman au long cours, une histoire fantastique qui met en scène Malick, «magicien et voyant», pour vous servir.

 

Bon, entendons-nous, Malick n'est pas David Copperfield. Il ne fait pas dans le spectaculaire, mais plutôt dans l'occulte. Il est amateur de symboles, de cercles magiques, de rituels superstitieux. Il ressent les énergies mauvaises comme d'autres entendent toutes les harmoniques d'une note. Il voit les esprits. Parle aux fantômes. «L'instrument du magicien, c'est le monde entier, dit-il. Le monde a sa propre musique, mais on peut en influencer la mélodie, et c'est là que la sensibilité est essentielle.»

Dès les premiers chapitres, Malick se voit dans l'obligation de fuir Montréal pour sauver sa peau. Direction Saint-Nicaise, une petite ville en Abitibi où il a passé son adolescence. Là-bas, il retrouvera quelques vieilles connaissances, dont la belle Rachel et un fantôme buveur de bière. Et fera la connaissance d'une bande de jeunes cinéastes amateurs et de membres d'un groupe spirituel aux pratiques très louches. Il y a de l'orage dans l'air, à Saint-Nicaise. Malick sent venir les éclairs et le tonnerre. Il lui faudra faire appel à quelques-uns de ses pairs. Des vrais. Pas des amateurs «qui achètent des cristaux pour se penser ésotériques, ni des «wiccains du week-end», des «pratiquants sérieux».

Une fêlure au flanc du monde est un étonnant roman rempli d'humour et de magie noire, truffé de savantes références aux sciences occultes (vous apprendrez, entre autres, ce qu'est un égrégore). Et malgré ses longueurs - le bouquin compte plus de 500 pages- , on le traverse avec plaisir.

Une fêlure au flanc du monde

Éric Gauthier, Alire, 2008, 525 pages, 16,95$ *** 1/2