Pickton Vale... Le nom nous semble étrangement familier. Pourtant, une petite recherche sur la Toile nous apprend qu'il n'y a ni ville ni village de ce nom, ni au Québec, ni ailleurs. Sous «Pickton», on retrouvera plutôt Robert, éleveur de porcs de la Colombie-Britannique, tueur en série tristement célèbre. Absolument rien à voir avec ce premier recueil d'un Montréalais qui assemble, avec pas mal de dextérité, des nouvelles comme de jolis carrés d'étoffe.

L'auteur, Benoit Trottier, évolue dans le domaine de la publicité depuis plusieurs années, nous apprend la quatrième de couverture. Déformation professionnelle? Il a le don d'épingler les mots qui marquent l'imaginaire. Mais aussi une propension à développer des «concepts».

 

Car concept il y a, dans ce recueil de sept textes qui met en scène une brochette de personnages fort bien campés. En fait, Trottier travaille un peu comme un designer d'intérieur. Son recueil est une maison dont les nouvelles sont autant de pièces. Chacune a sa couleur propre (qui lui sert de titre), du vert au bleu, en passant par le rose, le noir, le rouge, le jaune et le blanc. Chacune a sa personnalité, mais des motifs communs donnent à l'ensemble son unité. Dont un lieu qui revient: Pickton Vale, village fictif auquel les protagonistes sont tous rattachés, de près ou de très loin. À commencer par Agathe Alary, cette femme malheureuse et pourtant pleine d'espoir, qui décore le gîte touristique qu'elle vient d'ouvrir à Pickton Vale comme si sa vie en dépendait. Son premier client, le grand comédien Bernt Bergen, viendra cruellement crever sa bulle de rêve, sans même s'en apercevoir.

Ce personnage d'acteur, nous le reverrons dans d'autres nouvelles. Héros dangereusement narcissique dans Le rouge, personnage secondaire dans Le bleu, rôle muet dans Le noir - où c'est son amant qui prendra les devants de la scène.

Ambitieux ou rêveurs, téméraires ou timorés, dévastateurs ou dévastés, les êtres qui évoluent entre les sept histoires imaginées par Benoît Trottier sont souvent comme l'envers et l'endroit de mêmes médailles. Les liens qui les unissent sont forts ou ténus, mais déterminants. Le sort d'Agathe Alary, la propriétaire malheureuse du gîte touristique, influera sur ceux de son mari, héros mémorable du Rose, mais aussi de ses deux enfants, Jérémie, avec ses angoisses et sa psy, et Joëlle, âme d'artiste emprisonnée dans un corps timide que la mort de sa mère libérera. Les coutures sont visibles, certes, mais la courtepointe est jolie.

Des nouvelles de Pickton Vale est une première incursion dans le monde de la littérature. On lui pardonnera facilement ses quelques faiblesses. Son côté un peu trop «fabriqué», justement. Ses quelques pistes qui n'aboutiront nulle part - comme ce personnage de Brian, formidable bombe à retardement, dans Le noir, qui n'explosera jamais. On retiendra surtout les forces de ce recueil: des personnages crédibles qui, à la faveur d'événenents marquants, jaillissent de leur cocon. Des êtres vrais, qui se révèlent dans le drame et la joie. Et une écriture efficace, sans bavure. Pour un premier livre, c'est déjà beaucoup.

Des nouvelles de Pickton Vale

Benoît Trottier

Québec Amérique, 152 pages, 19,95$

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