En 1983, Daniel Sernine a publié Les méandres du temps. Cette ambitieuse histoire de télépathie, de prémonition et de chocs intergalactiques entre les civilisations terrienne et extra-terrestre a marqué les amateurs de science-fiction québécoise.

Il a fallu plus de deux décennies pour qu'une suite à cette première histoire soit publiée. Les archipels du temps, paru en 2005, et Les écueils du temps, sorti cet automne, ont porté à plus de 1500 pages l'intrigue spatio-temporelle alambiquée qu'a imaginée l'auteur québécois de 52 ans. La trilogie s'appelle maintenant La suite du temps.

 

Pourquoi avoir attendu 25 ans pour clore la saga? «Tout simplement parce que le premier éditeur a fermé», répond Daniel Sernine, en entrevue dans les bureaux de la revue de littérature jeunesse Lurelu, qu'il dirige, rue Saint-Denis. «Entre 1983 et 1997, il n'y a pas eu de débouchés pour la science-fiction adulte dans l'édition québécoise. Il a fallu que j'attende la création des éditions Alire pour relancer le projet. J'ai toujours eu l'idée d'un deuxième tome, mais il a fallu que j'en écrive des chapitres sous forme de nouvelles au fil des années. On a d'abord fait une réédition des Méandres du temps. Je m'attendais à beaucoup de réécriture, mais finalement la première édition tenait bien le coup.»

À cause de ses obligations à Lurelu, qu'il dirige depuis 15 ans, M. Sernine n'a pas pu travailler aussi vite qu'il l'aurait souhaité sur la trilogie. «Il est loin le temps où je disais qu'une journée sans écriture est une journée perdue», blague-t-il. Dans la première moitié des années 80, il a publié une quinzaine de titres, près de la moitié de sa production totale.

Par la suite, il a dû se cantonner dans la science-fiction pour adolescents, notamment la série Argus avec son pilote intergalactique montréalais. «C'est beaucoup plus facile d'écrire de la science-fiction jeunesse», explique M. Sernine, qui utilise, depuis ses premiers pas en science-fiction, un pseudonyme.

Le temps occupe une place privilégiée dans l'oeuvre de Daniel Sernine, qui a un baccalauréat en histoire et une maîtrise en bibliothéconomie. «Je pense qu'on a chacun ses passions. Moi, c'est la perception du temps, le désir de revenir changer les choses qu'on a faites de travers. Ça remonte à mon adolescence, entre 15 et 20 ans. J'avais une perception exacerbée du temps qui passe et amène des changements, de moments qu'on ne retrouvera pas. Et ça dure encore: je vois maintenant les enfants de mes amis, que j'ai vus bébés, devenir adultes. Ça fesse. C'est plus qu'une trace du temps qui passe. Ou encore revenir dans le quartier de mon enfance et voir des arbres mûrs alors qu'avant il n'y avait rien du tout. Tu peux toujours revenir dans un lieu où tu a déjà été, mais pas dans le temps.»

Ce quartier de son enfance, c'est Côte-des-Neiges, coin Van Horne et Linton, où sa mère était femme au foyer et son père inspecteur pour l'ancêtre de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (son frère, qui travaille au fisc provincial, a en quelque sorte suivi les traces paternelles). «La science-fiction, ça ne m'est pas venu de ma famille, dit M. Sernine. J'ai été initié avec les séries en noir et blanc de Radio-Canada, dans les années 60. Et j'ai beaucoup lu Bob Morane. D'ailleurs, dans les 120 titres de la série d'Henri Verne, il y a souvent des voyages dans le temps, notamment dans le premier, une histoire de chasseurs de dinosaures. J'ai aussi beaucoup lu la science-fiction de Fleuve noir.»

 

Ses influences littéraires sont toutefois plutôt du côté de Philip Dick, William Gibson ou John Brunner, plutôt que de Bob Morane. Même s'il établit une distinction nette entre la science-fiction dans les livres et au grand écran, il cite volontiers comme inspiration certaines adaptations cinématographiques de romans de Dick. «Le film Blade Runner a influencé le décor et l'ambiance de mes romans.»

L'une des raisons de la faible popularité des livres de science-fiction, selon Daniel Sernine, est toutefois la popularité de certains films à grand déploiement. «Les gens pensent que les livres sont simplistes, se limitent aussi à en mettre plein la vue. Alors qu'au contraire, la science-fiction littéraire est très sophistiquée. Ça rebute d'ailleurs des lecteurs, à cause du vocabulaire et des concepts nouveaux.»

Avec une pointe d'envie, M. Sernine note que dans le monde anglo-saxon, «moins cartésien», la science-fiction littéraire suscite plus d'engouement. L'un de ses romans pour adolescents, L'arc-en-cercle, a incidemment soulevé une idée similaire au «black oil» de la série télévisée The X-Files en 1995, avant même que les agents Mulder et Scully n'y soient confrontés.

L'époque actuelle est mûre pour un regain d'intérêt envers la science-fiction, croit l'auteur de La suite du temps. Comme beaucoup d'oeuvres de science-fiction, ses romans mettent en scène des gouvernements mondiaux ou alors des organisations secrètes contrôlant la planète, voire l'univers entier (dans Argus, le sort du monde se joue à Montréal). «Dans les périodes d'incertitude, on se réfugie volontiers derrière l'idéal de stabilité d'un gouvernement mondial. Ou, alors, on voit tout sous un jour sombre, comme s'il y avait un complot secret qui nous menaçait. Avec la montée des technologies de surveillance, qui entraîne par exemple l'écoute électronique du gouvernement américain, la science-fiction est d'actualité.»

Les écueils du temps

Daniel Sernine, Alire, 562 pages, 16,95$

L'auteur sera au Salon du livre de mercredi à dimanche.