Michel Tremblay a reçu La Presse dans son appartement du Plateau-Mont-Royal pour parler de son nouveau roman, La traversée de la ville, qui se déroule dans le Montréal des années 10.

Dans La traversée du continent, Michel Tremblay racontait le voyage de Rhéauna, inspiré de celui de sa mère, la Nana de ses romans, qui a réellement traversé le Canada au début du siècle. Dans le second volet de cette suite sur la diaspora des Desrosiers, le romancier met en scène deux traversées de Montréal.

 

En 1912, Maria, la mère de Nana, qui avait laissé la Saskatchewan, quitte cette fois les manufactures du Rhode Island pour retrouver sa famille à Montréal. En parallèle, on suit sa fille, qui, deux ans plus tard, cassera sa tirelire pour acheter des billets de train dans le but de ramener sa famille en Saskatchewan.

Deux trajectoires tracées par deux fugueuses issues d'un même clan de nomades. «Ces gens ont besoin de se déplacer. Pour eux, c'est toujours mieux ailleurs», explique Tremblay, évoquant la nostalgie des francophones du Canada pour le pays d'où ils viennent. «Née en Saskatchewan, Maria ne connaît pas du tout le Québec et s'en fait une idée mythique. Sur un coup de tête, elle part pour Montréal pour tenter un retour au bercail», explique l'auteur.

Les deux traversées de la ville du roman ne sont pourtant pas motivées par le même but. Maria retrouve sa famille dans un ailleurs inconnu, alors que Nana veut rentrer chez elle, en Saskatchewan. Tremblay a mis ces deux voyages en opposition en les inscrivant dans des registres différents. «Le voyage de Maria est très réaliste, alors que celui de Nana est onirique, un vrai conte de fées. Je l'habille en Petit Chaperon rouge et lui fais vivre des épreuves: elle rencontre un dragon (le tramway), un grand méchant loup (l'agent de sécurité chez Dupuis Frères) et une belle fée qui va la sauver», raconte-t-il.

La traversée de Nana, d'est en ouest, est le prolongement de celle de sa mère, de la gare Windsor jusqu'à Ville-Émard. De génération en génération, les femmes filent sur des coups de tête à la recherche d'une vie meilleure.

Genèse des Québécoises

Après avoir décrit des femmes assez vieilles dans le cycle des Belles-soeurs, Tremblay a voulu remonter dans le temps avec les Chroniques du Plateau Mont-Royal. Dans cette nouvelle suite romanesque, il remonte jusqu'au début du siècle et peint des femmes butées, qui refusent la réalité et préfèrent «regarder ailleurs», «relever la tête et rire», écrit-il.

Les deux soeurs de Maria, qui travaillent et n'ont pas d'homme dans leur vie, sont des «curiosités». «Elles sont marginalisées parce qu'elles ont osé vivre des choses défendues aux femmes à l'époque. Les femmes qui gagnaient leur vie étaient des femmes de mauvaise vie», raconte le romancier, tenté, avec l'âge, de retourner à la source. «J'ai eu envie de prendre le personnage de Nana et de faire la genèse de la genèse. J'ai fait vieillir ces femmes pour expliquer ce qu'elles sont devenues.»

Si les femmes de ses premiers romans étaient prisonnières de leur condition, celles-ci sont actives. «J'ai beaucoup décrit des femmes qui pouvaient nommer leur malheur mais qui n'avaient pas les clés, dit-il. En vieillissant, j'ai eu envie de leur donner ces clés, une conscience. Si les femmes de la génération de ma mère n'avaient pas la force de se révolter, certaines femmes de la génération d'avant avaient des personnalités et voulaient vivre autre chose qu'être mères de famille, quitte à être marginalisées.»

Le Montréal des années 10

Avec ce roman, Tremblay saisit un morceau de vie du Montréal des années 10, avec tous ses traits géographiques, culturels, culinaires. Sur la couverture, des chevaux rencontrent un tramway, image de la collision entre deux mondes. «C'est une génération qui a vécu la rencontre du modernisme et de l'ancien, note Tremblay.

C'est aussi l'époque où le joual est né, par la volonté des femmes», ajoute-t-il. Il explique que, à la fin du XIXe siècle, quand Montréal est devenu la métropole du pays, les hommes ramenaient à la maison des mots anglais que les femmes traduisaient oralement. Ainsi, «on a francisé les mots anglais, on en a fait des verbes, des adverbes. On est des inventeurs», clame-t-il, toujours aussi fier de la langue qu'il a fait entrer dans la littérature il y a plus de 40 ans.

Pour le dernier volet de cette trilogie qu'il s'apprête à écrire, Tremblay prévoit un livre plus introspectif sur la relation mère-fille. Pour la suite de sa propre traversée dans le temps, on peut imaginer une remontée encore plus loin vers l'origine, mais pour les personnages qui l'occupent actuellement, l'errance se termine au Québec.

La traversée de la ville

Michel Tremblay

Leméac/Actes Sud, 240 pages, 23,95$