Chez certains auteurs, l'idée d'écrire en tandem provoque une poussée d'urticaire. Pourtant, nous retrouvons cette année sur les tablettes deux romans écrits à quatre mains: Plus loin, de David Dorais et Marie-Ève Mathieu, et Uns, de Marie-Andrée Lamontagne et Philippe Borne. Nous avons rencontré les auteurs afin de discuter processus, compromis et territoires.

« Nous étions tous les deux en voiture lorsque nous avons eu l'idée, lance Marie-Ève Mathieu, visiblement amusée à l'idée de faire le bilan de cette drôle d'expérience que fut la création en tandem du roman Plus loin. Puisque nous avons souvent fait du pouce dans notre vie, nous délirions autour de nos multiples histoires. Ce jour-là, en voiture, nous avons même créé un plan. Nous étions très emballés.»

 

« Puisque nous nous inspirions de nos vraies expériences, c'était plutôt facile, poursuit son compagnon de vie et coauteur, David Dorais. Faire du pouce, c'est une occasion rare de vivre le brassage social. Tu peux te faire prendre par des riches, des paumés, des jeunes, des vieux. Ça nous apparaissait riche comme univers.»

Pour l'auteure Marie-Andrée Lamontagne, qui signe avec Philippe Borne Uns, roman alliant science-fiction et philosophie, l'idée d'écrire à deux paraissait également séduisante. « Philippe jonglait avec une histoire depuis une quinzaine d'années sans parvenir à l'écrire, n'étant pas écrivain de son propre aveu. Un jour, il m'a tout simplement proposé de l'écrire avec lui. L'intrigue du roman m'a beaucoup intéressée en raison de la richesse de son contenu et surtout de sa dimension historique.»

«J'étais loin de penser que j'écrirais un jour un roman de science-fiction, souligne la nouvelliste et essayiste, mais j'aime assez le fantastique et je n'ai pas d'a priori contre la littérature de genre. Je suis curieuse et ouverte aux expériences. Je me suis donc prise au jeu. Au canevas de départ se sont ajoutés, au fil de nos discussions et de l'écriture, des tas d'éléments qui ne figuraient pas dans l'histoire initiale. Ainsi va la littérature qui n'en fait souvent qu'à sa tête! »

L'art du compromis

Si l'idée d'écrire en tandem semblait au départ stimulante, la question du processus d'écriture s'est rapidement posée. « Pour ma part, j'ai impérativement besoin d'être seule dans une pièce et de ne pas être dérangée pour écrire, avoue Marie-Andrée Lamontagne. Philippe et moi nous sommes donc réparti le travail. Chaque matin, je m'enfermais dans ma chambre jusqu'à midi et j'écrivais un premier jet. De son côté, Philippe faisait toutes les recherches scientifiques et historiques. Il relisait également les pages que j'avais écrites quelques jours plus tôt pour s'assurer de leur cohérence. Ensuite, nous nous remettions au travail, cette fois côte à côte. Nous discutions des remarques et corrections qu'il proposait. La nécessité de passer par la discussion obligeait chacun à clarifier ses positions et ses choix, stylistiques ou factuels.»

Il aura fallu cinq années de travail commun à Marie-Andrée Lamontagne et Philippe Borne pour mener à terme cet ambitieux projet. « C'était une vie très disciplinée, austère même, mais qui nous plaisait beaucoup par son intensité, affirme l'auteure. Nous étions littéralement plongés dans l'univers historico-galactique que nous avions créé. Les chapitres se sont accumulés, le roman a pris forme. Il a trouvé sa voix et sa cohérence propre. Écrire à deux ne me paraît possible que lorsque les territoires respectifs sont bien délimités et que les deux partenaires ont le regard tourné vers un but commun.»

Coauteurs aux antipodes

Pour les auteurs David Dorais et Marie-Ève Mathieu, la question des territoires s'est avérée plus épineuse. «L'écriture de David est très stylisée, avoue Marie-Ève Mathieu. Moi, je tends vers le contemporain, je vais faire des phrases courtes, j'écris plus hachuré. Nous sommes aux antipodes. Nous avions donc décidé que j'écrirais les dialogues et que David peaufinerait. Mais, en cours d'écriture, nous nous sommes rendu compte, à notre grand étonnement, que nous étions capables d'unifier notre style.»

Le choc des écritures fut donc moins violent que prévu. « Du fait qu'on se recorrigeait sans cesse, les lectures étaient multiples, renchérit David Dorais. Nous avons donc abouti à un style commun qui n'est ni le mien ni le sien. Une sorte de niveau moyen. À tel point que nous avons de la difficulté à définir qui a créé quoi. Nous avons perdu la paternité des idées et des gags.»

« Disons, en fait, que ça demande une bonne dose d'humilité », résume Marie-Ève Mathieu avant de partager un sourire complice avec son partenaire.

Plus loin

David Dorais et Marie-Ève Mathieu

Éditions Boréal, 312 pages 27,95$

Les Uns

Marie-Andrée Lamontagne et Philippe Borne

Éditions Leméac, 566 pages, 29,95$