Entre une mère pratiquante qui aurait voulu enseigner et un père, employé de Canadian Pacific Railways - toujours prononcé «Cipiarrhes» -, qui ne pouvait lire le journal unilingue anglais de son syndicat américain, Jean-Marc Piotte a grandi dans l'immédiat après-guerre comme bien des Canadiens français de l'époque.

Pas riche mais pas vraiment dans la misère, sa famille habitait le Faubourg à'm'lasse, entre le fleuve et la «track», près du pont Jacques-Cartier, un lieu où, comme ailleurs dans le Québec «intégriste» du temps, la notion de liberté laissait des choix d'une clarté absolue. Libre, oui, de faire ce que demandait le boss (ou le syndicat) si tu voulais garder ta job, libre aussi, toujours, de sombrer dans les mauvaises lectures, disons - vers le Mal, le choix de chemins était plus vaste - pour aller brûler, l'Éternité durant, aux côtés des autres qui avaient choisi Satan.

 

Le jeune Piotte, un turbulent facétieux qui détestait l'école, ne s'en retrouve pas moins à l'école normale: il sera professeur, d'abord dans une polyvalente puis dans un cégep, avant d'arriver à l'UQAM. Entre-temps, il a étudié la philosophie qui l'a amené, dans la foulée de Descartes, à «soumettre au doute méthodique» tout ce qu'il avait appris: «Chaque individu doit découvrir la vérité en partant de lui-même.» Il découvre Marx et, comme d'autres jeunes du temps à la recherche d'une voie nouvelle, retrouve «dans le marxisme certaines valeurs du christianisme dont ils s'étaient trop hâtivement délestés».

Avec, notamment, André Major et Paul Chamberland, il fonde bientôt (1963) la revue Parti-pris, qui représente «la gauche des gauches». Engagé à fond dans le «syndicalisme de combat» - il sera président du syndicat des professeurs de l'UQAM -, Jean-Marc Piotte est de toutes les luttes dans le Québec bouillonnant des années 70.

Aujourd'hui, à presque 70 ans, «le père du marxisme québécois» nous livre, avec Un certain espoir, un essai d'une grande sérénité où s'entrecroisent l'histoire du monde et celle du Québec, son parcours de militant et d'enseignant et ses bribes de vie remontant à sa plus tendre enfance. D'aucuns pourront y voir un bilan, bien qu'il ne s'agisse ici aucunement de mémoires, M. Piotte n'amenant ses expériences personnelles que pour mieux mettre en lumière l'évolution des choses jusqu'à leur état actuel. Qui commande toujours la révolution...

Chercheur de vérité

Au fil des pages, le lecteur suivra l'évolution intellectuelle d'un chercheur de vérité qui a su continuer sa quête après l'effondrement de ses plus vibrantes utopies. Ainsi, de son évolution marxiste, M. Piette raconte son difficile retour à la réalité après avoir pris conscience du caractère totalitaire du régime soviétique dans lequel «Marx ne se serait pas reconnu». Et comment, ici, dans sa volonté radicale d'assurer aux travailleurs un mieux-être collectif, il avait minimisé «le saut qu'exige le passage de la lutte syndicale à la lutte politique proprement dite».

Il faut lire les pages sur l'évolution du syndicalisme québécois qui, de force vive du mouvement nationaliste, se retrouve, 30 ans plus tard, «exsangue et déboussolé», devant une certaine apathie de ses membres dont bien des acquis se trouvent pourtant mis à risque par la mondialisation.

En face, la bourgeoisie possédante prône le statu quo, bien en contrôle de «l'État de droits oligarchiques» qui, produit historique de la démocratie représentative, «constitue actuellement le meilleur type d'État possible». Au sein duquel le peuple doit toutefois renforcer son «contre-pouvoir» en «investissant directement le champ politique».

Pour réaliser l'indépendance du Québec? Non, écrit M. Piotte, qui invite la gauche québécoise, Québec solidaire pour l'heure, à «se libérer du fantasme souverainiste» parce que «le peuple ne tient pas mordicus à l'indépendance car il se sent relativement autonome sur son territoire et guère opprimé par le patriarche fédéral».

Quant à la souveraineté culturelle, l'auteur met en garde ceux qui voient dans la sauvegarde de la langue française le seul rempart contre «la culture Disneyland». Le géant états-unien, écrit-il encore, n'aura de cesse de contourner l'exception culturelle des accords de libre-échange que quand ladite exception aura été totalement battue en brèche.

Entre ces analyses de problématiques particulières au Québec moderne où, en bon professeur, M. Piotte évite de «grimper sur le piédestal de celui qui sait», il se penche sur des considérations plus universelles, telles le difficile équilibre entre la liberté et l'égalité, «fondements de la modernité» dont l'école reste l'enjeu majeur. Tous les Québécois ont accès à l'école, oui, mais il faut voir laquelle? Et sur la vie elle-même qui, tient-il, «n'est sacrée que dans sa dignité».

Plus qu'un manifeste de gauche

Un certain espoir, le titre ne ment pas, dépasse largement le manifeste de gauche ou tout autre pamphlet qu'on voudrait y voir. Voici une réflexion éclairée et savante sur l'homme moderne qui, comme citoyen, travailleur ou parent, doit faire le meilleur usage de sa liberté, «entre une naissance non choisie et une mort inévitable».

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UN CERTAIN ESPOIR

Jean-Marc Piotte

Éditions Logiques, 184 pages, 22,95$