De son vivant, l'écrivain suisse allemand Robert Walser a vécu et écrit dans la confidentialité, en dépit de l'admiration que lui vouaient Franz Kafka, Robert Musil et Walter Benjamin. L'auteur des Enfants Tanner s'est éloigné du milieu littéraire de Berlin pour livrer un combat contre son ego et sa schizophrénie. Fasciné par l'oeuvre et la vie de Walser, les comédiens Renaud Lacelle-Bourdon et Catherine Vidal ont construit un spectacle littéraire fait de collage de ses textes autobiographiques.

Ceux qui l'ont vu dans Vincent River (au Quat'Sous) ou dans La fête sauvage (à La Licorne) connaissent l'indéniable talent d'acteur de Renaud Lacelle-Bourdon. Avec ce spectacle créé pour le Festival international de la littérature, il révèle une autre facette de sa personnalité: celle d'un lecteur attentif et sensible. Son introduction au monde intérieur de Robert Walser s'est faite par la lecture des Enfants Tanner. Il a été séduit par la parenté avec le Holden Caulfield de Salinger, par cette «jeunesse complètement délinquante, qui se cherche».

 

«C'est ma mère (la poète Andrée Lacelle) qui m'a fait découvrir Walser et a orienté mes lectures. Elle connaît presque tout de lui», affirme le jeune homme. Avec sa blondeur et son visage doux, Lacelle-Bourdon a lui-même quelque chose de poétique, de suranné. En cours d'entrevue, il ne cesse de consulter les notes qui noircissent son minuscule cahier. «L'idée de ce spectacle a surgi l'hiver dernier. Je trouvais inadmissible que le collage reste dans mon tiroir. J'avais le goût de travailler!»

Walser en deux temps

Avec sa complice Catherine Vidal, qui signe la mise en scène, Renaud Lacelle-Bourdon a donc réalisé un collage de textes issus de romans et de nouvelles de Robert Walser. Ce spectacle nous fait découvrir cet auteur à deux époques de sa vie. Lacelle-Bourdon campe lui-même son «héros», à l'âge de la jeunesse et des utopies. Pier Paquette défendra quant à lui un Walser vieillissant, contemplatif, investi de questionnements profonds et secrets.

Walser, souligne Lacelle-Bourdon, était un être qui souffrait de ne pas être «compatible avec le monde». Mais jamais il ne se rendait victime impuissante de sa condition. Lorsqu'il sentait monter les crises de schizophrénie, il se diagnostiquait lui-même et exigeait l'internement. «Dans le monologue du Brigand, il va loin dans l'autodérision et l'autoanalyse. Alors que dans sa jeunesse, son espoir est remplacé par une déception face au monde et une angoisse.»

Lacelle-Bourdon et Paquette partageront la scène du Goethe-Institut avec Christophe Papadmitriou, dont la contrebasse «accompagne bien le flux de paroles de Walser». Selon le jeune comédien (qui fait aussi partie de la bande de Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, repris au FIL), les écrits de Walser demeurent très contemporains. «On sent chez lui une lucidité et une pureté. Comme un enfant qui essaie de se comprendre.»

L'enfermement de Walser dans ses pensées avait quelque chose de monastique, note Renaud Lacelle-Bourdon. Pendant ses périodes d'internement, il a écrit des romans en microgrammes, qui ont été retrouvés puis décryptés après sa mort. «C'était un homme doté d'un talent inouï, atteint d'une tristesse profonde. Mais jamais il ne voulait qu'on le prenne en pitié: il était lucide et connaissait sa voix, ce qui le dérangeait. Il savait comment prendre soin de lui et s'éloigner de ce monde qui le rendait malheureux.»

Une révolte intérieure et silencieuse qui fait écho dans notre monde actuel, où la folie et la marginalité sont normalisées avec des pharmacopées.

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Walser, spectacle littéraire présenté les 23 et 24 septembre au Goethe-Institut, dans le cadre du Festival international de la littérature.