Schefferville. Son passé minier. Son atmosphère de ville fantôme. Ses communautés autochtones. Ses aurores boréales. Ses caribous. Mais aussi ses drames, ses conflits, son isolement. On retrouve tout ça dans Terminal Grand Nord, le premier roman d'Isabelle Lafortune. Un polar dont la narration est si imagée et captivante qu'il sera adapté au cinéma par le réalisateur François Bouvier. La Presse a rencontré Isabelle Lafortune pour évoquer cette histoire d'un enquêteur de la Sûreté du Québec qui se rend à Schefferville pour élucider le meurtre de deux jeunes femmes innues.

Vous avez étudié en littérature, mais ce premier roman survient après d'autres expériences artistiques.

J'ai étudié en littérature et en économie. J'ai fait de la musique. J'ai été chanteuse, j'ai fait du théâtre, j'ai travaillé dans le design, j'ai écrit un conte et fait de l'édition littéraire ! En fait, j'ai toujours été dans la création.

Comment est né Terminal Grand Nord?

Plus jeune, j'ai passé plusieurs mois à Schefferville. J'ai vu des scènes qui m'ont troublée, comme des gens qui se frappaient. Il y a quelque chose d'oppressant à Schefferville et, en même temps, un espace de liberté immense. Je m'étais dit qu'il faudrait que j'écrive un jour sur cette ville. À l'époque, j'étais imprégnée de Réjean Ducharme! J'ai alors écrit 50 pages, notamment sur un écrivain qui vivait une déchéance à Schefferville. J'ai gardé des éléments de ces 50 pages pour écrire le roman.

Pourquoi avoir choisi le roman policier?

Quand j'ai repris l'écriture, il m'est apparu assez clairement que ce devait être un polar. À cause du lieu géographique, du huis clos que ça créait et de la faune aussi fascinante qu'étrange de Schefferville. J'avais envie de parler de cette société isolée et vulnérable, du contraste avec les gens «d'en bas», de Québec et de Montréal, qui décident de faire de grands plans pour le Nord et qui ajoutent une pression sur ces communautés isolées, aux intérêts complètement différents. C'est une atmosphère propice à un polar.

Les autochtones tiennent une grande place dans le roman...

Je voulais parler des Innus tels qu'ils sont inscrits dans la modernité. Que l'on sente leur typologie, que l'on parle des préjugés à leur égard, mais je voulais aussi déboulonner ces préjugés et éviter les clichés. Les femmes autochtones dont je parle dans le roman ont des caractères forts et une certaine vulnérabilité.

Votre arrière-arrière-grand-mère était une autochtone de Kahnawake, Perfide Cardinal. Cette ascendance a-t-elle joué un rôle?

Cela a fait que je suis sensible à la cause amérindienne comme je le suis au sort qu'on réserve aux humains en général. J'ai vécu avec les Innus et les Naskapis à Schefferville. Quelque chose m'attire dans les cultures autochtones, même si j'ai un regard critique.

Le roman est aussi une réflexion sociale sur le Québec.

Oui, car il y a une réflexion collective à faire au Québec. On mérite ce qu'il y a de mieux, mais aussi d'être ouverts aux autres. En reproduisant des tweets ou des extraits d'émissions d'affaires publiques des radios «poubelles», j'ai essayé de traduire les méchancetés gratuites qu'on lit ou qu'on entend, sans que les gens comprennent le fond des questions. Mais je pense que la majorité des Québécois sont ouverts et notamment plus sensibles aux autochtones.

Vous critiquez aussi les relations particulières entre les gouvernements et les sociétés minières.

Je ne voulais pas régler la question, mais quand je lis sur le Plan Nord, on brandit toujours l'économie, le fait que les politiciens veulent créer de la richesse, mais je crois qu'il faut tenir compte des gens qui vivent sur place et de l'environnement. Là, je pense qu'il y a un problème. Heureusement, les gens se mobilisent pour éviter de créer des monstres ou de nuire plus à l'environnement. Alors, oui, la classe politique en prend un peu pour son rhume dans mon roman, mais c'est en périphérie de l'histoire.

Machiavel est d'ailleurs très présent dans ce roman. Vous le citez souvent.

J'adore Machiavel. Il a réussi à décrire la nature humaine et à montrer qu'elle ne change pas. Tout ce qu'il a écrit est d'actualité, notamment sur les jeux de pouvoir.

Vous allez écrire une suite à ce livre?

Oui, car j'ai eu beaucoup de plaisir à écrire ce roman. Mais je ne veux pas me répéter. Je ne veux pas entrer dans une recette. Je veux évoluer dans le style littéraire.

Et il y aura un film.

Oui. Terminal Grand Nord sera adapté au cinéma par François Bouvier. Nous avons eu des subventions de Téléfilm Canada et de la SODEC pour écrire le scénario. C'est un grand bonheur, car François s'est approprié les personnages. C'est très touchant, car on écrit pour être lu, mais aussi pour que les lecteurs comprennent ce qu'on a tenté de dire. Il y aura aussi de très beaux rôles d'Innus, des premiers rôles, alors ça, ça me plaît vraiment beaucoup! 

Terminal Grand Nord. Isabelle Lafortune. XYZ éditeur. 352 pages.

IMAGE FOURNIE PAR XYZ ÉDITEUR

Terminal Grand Nord, d'Isabelle Lafortune