On connaît certes Frida Kahlo et Yoko Ono. On a peut-être entendu parler de la sculptrice Camille Claudel. Ou de l'impressionniste Berthe Morisot, à qui le Musée national des beaux-arts du Québec a consacré l'été dernier une intéressante rétrospective.

Mais combien d'autres femmes artistes peut-on vraiment nommer? Nous voilà bien embêtés, et pour cause, puisque les femmes qui ont peint, sculpté, performé ou créé des installations sont, justement, très mal connues. Une grave injustice, que Laure Adler tente aujourd'hui de réparer avec son livre Les femmes artistes sont dangereuses (Flammarion), écrit en collaboration avec Camille Viéville.

Journaliste, animatrice, éditrice, productrice, Laure Adler est une incontournable de la culture et des médias en France depuis plus de 30 ans. On l'a connue chez nous à la barre du Cercle de minuit, diffusée sur TV5 dans les années 90. Mais sa carrière ratisse beaucoup plus large, et inclut nombre de projets radio et télé, ainsi qu'une trentaine de livres, essais et biographies pour l'essentiel.

À 68 ans, elle se dit prête à «lever le pied». Mais anime toujours une quotidienne (L'heure bleue), sur les ondes de France Inter (équivalent français de Radio-Canada), où elle nous reçoit d'ailleurs aujourd'hui, une heure avant d'entrer en studio.

Une histoire occultée

Avec Les femmes artistes sont dangereuses, Laure Adler poursuit un travail entamé avec Les femmes qui lisent sont dangereuses (2006) et Les femmes qui écrivent vivent dangereusement (2007), deux livres interrogeant la place des femmes en littérature et dans le monde des idées, univers essentiellement dominés par les hommes.

Dans ce nouveau livre, la question semble encore plus pertinente. Car s'il est un champ de la culture où les femmes ont été trop souvent mises de côté, c'est bien celui des arts visuels.

On ne parle pas ici des muses ou des modèles de grands peintres, mais d'authentiques créatrices, qui ont su construire une oeuvre autonome sans avoir jamais à obtenir la reconnaissance. Sous-représentées dans les musées, les galeries et les livres d'histoire de l'art, les femmes artistes ont été «sanctionnées par la mémoire collective, qui n'a choisi de retenir que les génies masculins», résume tout simplement Laure Adler.

«C'est une histoire occultée, une histoire d'invisibilité, de combat et une histoire de dignité, où les femmes ont été dominées, entravées.»

Le livre, volontairement pédagogique et grand public, est un véritable panorama historique réunissant une centaine de portraits, allant d'Artemisia Gentileschi et Mary Beale (XVIIe siècle) à des artistes plus récentes comme la Portugaise Paula Rego et la Japonaise Yayoi Kusama. Entre ces deux pôles, des créatrices de toutes les époques, d'Élisabeth Vigée-Lebrun (portraitiste de Marie-Antoinette) aux contemporaines Louise Bourgeois, Niki de Saint Phalle ou Sophie Calle en passant par les incontournables Frida Kahlo et Yoko Ono. Autant d'artistes n'ayant rien en commun, «sauf le fait, précise Mme Adler, d'appartenir à un sexe qui n'a jamais été considéré comme étant capable de fabriquer et non reproduire des images».

Des quotas?

La situation serait cependant en voie de s'améliorer.

Depuis les années 60, lentement mais sûrement, les femmes commencent à être reconnues dans le monde des arts, et considérées à l'égal des hommes. Cette tardive réhabilitation s'explique notamment par le fait que les postes décisionnaires dans les musées et les grandes institutions culturelles sont désormais occupés par un nombre grandissant de femmes, qui ont à coeur de rétablir le grand récit de l'histoire de l'art.

Mais on est encore loin du compte. Laure Adler souligne que le monde des arts est encore largement une affaire masculine et rappelle que la cote des femmes sur les marchés internationaux de l'art est encore «délibérément très en dessous» de celle des hommes, et ce, «même pour celles qui ont eu de grandes expositions dans le monde entier».

Que faudra-t-il pour atteindre une forme de parité? Pour que des livres comme celui-ci ne soient plus nécessaires? La journaliste s'interroge: «Je ne suis pas pour les quotas, dit-elle, mais en même temps, on n'a rien trouvé d'autre en politique pour assurer la représentativité des femmes en politique. Faudra-t-il des quotas pour les femmes artistes? C'est une question qui se pose.»

Le temps dira si l'on atteint un jour l'équilibre. Mais pour Laure Adler, il est clair que «le combat ne fait que commencer»... au contraire de notre entrevue, qui se termine après 45 minutes de conversation.

Au moment d'être prise en photo, l'animatrice sort de son sac une incroyable paire de lunettes fumées en forme de coeur et pose pour La Presse, l'air défiant, en blouson de cuir, dans les couloirs de la station de radio.

Peut-être pas une femme artiste. Mais l'attitude d'une rock star...