Après le grand succès de La fiancée américaine, le nouveau feu d'artifice très attendu d'Éric Dupont se nomme La route du lilas, une ode à la beauté et à la résilience des femmes.

La magie olfactive du lilas - «plus démocratique que la madeleine de Proust» - guide trois femmes sur les routes de l'Amérique, en quête de sa floraison, tandis que remontent les souvenirs d'une enfance au Brésil, d'une jeunesse à Paris, jusqu'à une révélation finale en Gaspésie. Avec comme note de coeur l'histoire de Léopoldine, impératrice du Brésil, et comme note de fond, l'odeur âcre du gaz poivre des manifestations de 2012.

Éric Dupont a survécu à La fiancée américaine, mais elle continue de faire des siennes. Après que le livre eut été encensé par la critique en 2012, couvert de sélections et de prix, la traduction en anglais de ce grand roman par Peter McCambridge (intitulé Songs for the Cold of Heart) est actuellement finaliste au Giller, le plus prestigieux prix littéraire du Canada, ce qui oblige Éric Dupont à faire une imposante tournée de promotion au pays, et son horaire de prof à McGill est très bousculé.

«Ma Fiancée continue de me faire voyager, je vais devoir apprendre à vivre avec», dit l'écrivain que nous rencontrons dans son appartement du Plateau Mont-Royal. «J'ai compris dernièrement que c'est un livre dont je vais devoir toujours parler. C'est par ce livre qu'on me découvre. Tout ce que j'ai dit sur la Fiancée en français, je dois recommencer à le dire en anglais alors qu'en même temps, c'est La route du lilas que j'ai en tête.»

À la sortie de La fiancée américaine, Éric Dupont avait confié dans toutes ses entrevues à quel point ce livre avait failli avoir sa peau. Un travail monstre qui avait abouti à un pavé de plus de 600 pages, et une réception plus qu'enthousiaste. Ce quatrième roman est devenu la pierre angulaire de son oeuvre, et on lui demande s'il a craint qu'il n'écrase absolument tout le reste, les livres précédents comme à venir. «Oui, et elle est en train de me montrer qu'elle ne va pas me laisser tranquille. Mais je voulais ça! Je te l'ai dit que je voulais écrire un livre dont je serais éternellement fier! Et je suis encore fier!»

Or voilà, il y a maintenant La route du lilas, qui lui a demandé autant de travail, sinon plus. Il a été écrit dans l'amour, précise-t-il, pour expliquer le côté plus apaisé qu'on sent autant chez Dupont que dans son roman. Cet amour, c'est Leonardo, son conjoint depuis 10 ans, un diplomate brésilien avec qui il a vécu notamment en Italie, au Maroc et au Brésil. «C'est un livre pour Leonardo. Il est partout dans ce roman. Sa famille est là, c'est son pays, sa musique. Il a été écrit sous son regard bienveillant. La fiancée américaine a été une expérience plus cérébrale. Avec La route du lilas, j'avais cette préoccupation de retourner à quelque chose de plus près du coeur, plus près des sens.»

Immersion brésilienne

Éric Dupont est un fou de recherche et de découvertes - la carrière de son chum n'a fait qu'encourager ce penchant sur les lieux mêmes de ses obsessions. Pour La route du lilas, alors qu'il parle déjà anglais et allemand, il a carrément appris le portugais - «c'est mon butin de guerre!», clame-t-il - afin de pouvoir lire à peu près tout sur Léopoldine, cette princesse autrichienne devenue la mère de la nation brésilienne, dont l'histoire est racontée à la manière d'une telenovela, ces feuilletons télévisés que Dupont a énormément regardés au Brésil.

Il est même allé jusqu'à Vienne feuilleter les aquarelles du peintre Thomas Enders qui a accompagné la délégation de la princesse au XIXe siècle. «Tu n'as pas idée de la recherche que Léopoldine m'a demandé...» Il fallait le portugais aussi pour comprendre le Brésil des années 50 de Pia, son personnage principal, qui vivra une jeunesse mouvementée à Paris.

Éric Dupont souligne que c'est un pays très complexe et n'est pas étonné par la montée du candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro.

«C'est dégueulasse, c'est laid, je ne dis pas que ça se justifie, mais dans le contexte brésilien, ça s'explique. Brazil is not for beginners...»

Et c'est un apartheid racial pour les Afro-Brésiliens qu'il aborde dans son roman. «Il faut le dire ouvertement que cette histoire de démocratie raciale, la terre de demain que Stefán Zweig avait annoncée, n'est vraiment pas pour demain.»

La fatalité du lilas

Il s'est bien sûr énormément documenté sur le lilas, plus particulièrement sur Isabella Preston et le couple Lemoine qui ont créé des variétés célèbres.

«J'ai eu des moments de fascination et de révélation, en voyant des gens qui avaient consacré leur vie à la beauté, comme Isabella Preston, dont on peut encore voir les pommetiers, les lilas et les lys partout dans le monde. On peut suivre la route du lilas, mais le lilas a suivi une route pour arriver à nous. On est à peu près certains que c'est la première plante ornementale que les Européens ont apportée en Amérique du Nord. On en trouve du Tennessee jusqu'à Natashquan, même au Labrador! Donc, ce n'est pas une plante américaine, et pourtant, il n'y a rien de plus québécois qu'un lilas.»

Éric Dupont écrit aussi que le parfum si caractéristique du lilas est plus démocratique, comme effet sur la mémoire, que la madeleine de Proust. «Le lilas, tu n'as qu'à passer à côté et c'est fatal. Tu es foutu! Tu peux éviter la madeleine, mais le parfum du lilas va toujours te trouver.»

Au bout du compte, un peu comme pour La fiancée américaine, La route du lilas donne l'impression de lire cinq romans en un, avec ce ton Dupont, rempli d'érudition et de dérision.

Un monde hostile aux femmes

Les personnages féminins dominent entièrement La route du lilas. Elles en bavent, elles sont fortes, et elles s'aiment entre elles, dans un monde qui les maltraite. La violence faite aux femmes est l'un des grands thèmes du roman, qu'on soit chez la princesse Léopoldine, agressée par son époux royal, avec Pia, considérée comme du bétail à vendre par son père et battue par son mari, ou avec Rosa, frappée par la police qui la traite «d'hostie de lesbienne laitte» pendant les manifestations étudiantes de 2012.

On peut même lire une liste interminable d'assassinats de femmes au Brésil, qui font l'objet d'une série télé populaire.

«La situation des femmes au Brésil est catastrophique. C'est une dizaine par jour qui sont tuées», résume Éric Dupont.

«On peut parler du reste de l'Amérique latine, dire que ce sont des sociétés machistes, mais une fois à Montréal, quand le SPVM commence à frapper une femme de 112 lb, en la traitant d'"hostie de lesbienne", car j'ai vu ça pendant 2012, la violence est aussi ici.»

«Si un jour elle a besoin de la protection des institutions, est-ce qu'elle va appeler le SPVM? La violence que les policiers ont exercée sur les gens était injustifiable et il n'y a jamais eu de mea-culpa. Quelque chose est mort et quelque chose est né dans la rue en 2012», poursuit l'auteur.

La route du lilas a été un éveil de conscience pour son créateur. «Dans un monde où on voudrait que toutes les filles puissent devenir Isabella Preston, je pense que le Brésil m'a fait comprendre pour la première fois qu'il n'y a pas de place sur la terre où la femme est à l'abri de la violence masculine. La route bordée de lilas que l'on suit dans mon roman est une espèce de refuge pour s'éloigner de ce monde horrible, et où j'invite les lecteurs à célébrer, malgré tout, la beauté.»