Juste à temps pour les vacances, Marc Levy publie son 19e roman, Une fille comme elle, dont l'intrigue se déroule dans un immeuble au charme suranné de Greenwich Village. Au coeur de cet immeuble se trouve un vieil ascenseur mécanique opéré par un liftier, Deepak, fidèle témoin de la vie d'une galerie de personnages excentriques et colorés. Parmi eux, Chloé, jeune actrice handicapée à la suite d'un accident, tombera amoureuse de Sanji, neveu de Deepak, jeune millionnaire fraîchement débarqué de Bombay. Comédie romantique, Une fille comme elle est aussi un roman sur la différence, ainsi qu'une belle lettre d'amour à New York, où le romancier habite depuis 11 ans. De passage à Montréal, Marc Levy nous a parlé de sa ville d'adoption.

Qu'est-ce qui vous a mené à vous installer à New York?

Il y a deux versions à l'histoire. La première version est assez glamour: ma femme, Pauline, qui a été très longtemps journaliste à Paris Match, avait fait ses classes au magazine Premiere, à New York. De mon côté, New York était la première ville des États-Unis où j'avais posé les pieds, à l'âge de 18 ans. On était tous les deux des aficionados de cette ville, au point qu'on venait y passer toutes nos vacances. Chaque fois qu'on se demandait où aller en vacances, c'était New York. Quand mon fils aîné a eu 18 ans, il a quitté le nid familial pour aller étudier. Lors du chemin du retour des vacances, Pauline m'a dit: «Pourquoi on n'irait pas vivre à New York?» J'ai dit au taxi de faire demi-tour. Vraiment. C'était la réalisation d'un rêve que je nourrissais depuis 20 ans, et que Pauline nourrissait aussi. Et puis, à l'intérieur de cette version, il y a une petite phrase que je vous ai glissée: «Au moment où mon fils a quitté le nid familial pour aller étudier... » Il faut ajouter «aux États-Unis». C'est l'autre version, officieuse, celle du papa poule séduit par l'idée de me rapprocher de mon fils.

Le New York fantasmé qu'on visite en vacances est-il à la hauteur du New York que vous habitez depuis 11 ans?

Je crois qu'ils sont très différents. Entre le New York de Wall Street et le New York des comédies, il y a deux mondes qui se côtoient. En fait, New York, c'est une ville composée de villages, c'est une tour de Babel. Il y a les différents villages de Brooklyn, les villages du bas de la ville et aujourd'hui, on assiste même à une réémergence des villages du haut de la ville, dans cette frange très urbanisée et très professionnalisée qu'est Midtown. Des quartiers comme Hell's Kitchen, qui avait pratiquement disparu, sont en train de se recréer. C'est donc un New York des villages et de la diversité.

Qu'est-ce qui a changé à New York en 11 ans?

Je pense que les gens sont très, très malheureux. Et ce n'est plus une question de gentils démocrates d'un côté et de méchants républicains de l'autre. J'ai des copains à New York qui sont républicains et ils ne reconnaissent plus leur pays, leurs valeurs. Aujourd'hui, les États-Unis sont sur le fil du rasoir, face à la subtile distinction entre patriotisme et nationalisme. Je pense que l'Amérique vit ce que nous aurions pu vivre en France si Marine Le Pen avait été élue. Les États-Unis ont basculé dans un état de quasi non-droit dans plein de domaines... Au milieu de tout ça, il y a une île d'irréductibles New-Yorkais qui opposent une résistance et on ne parle pas d'une poignée de bobos et de libéraux, mais bien d'une population qui dit: «Quelles que soient les différences et l'appartenance de chacun, ce qui se passe actuellement n'a rien à voir avec la vision que nous avons de l'Amérique...»

Dans votre roman, on sent également votre amour de New York dans les descriptions que vous faites des différents quartiers. On devine que vous êtes un grand marcheur qui a beaucoup arpenté la ville...

Énormément. J'adore ça. Ce qu'offre New York, c'est cette diversité culturelle et ethnique où tout le monde se côtoie sans avoir besoin de s'imposer par rapport à l'autre. Et en même temps, il y a une vraie sincérité dans l'affirmation de soi-même à New York. Elle ne se fait pas au détriment de l'autre. L'affirmation est d'autant plus sincère et perceptible. Je suis très accro à cette ville.

C'était important pour vous de montrer cette diversité dans votre roman?

Si j'ai eu envie d'écrire ce roman aujourd'hui, c'est que, très franchement, on est à un moment de basculement des mondes. Dans plusieurs pays, dont les États-Unis, on voit bien le conservatisme revenir à grands pas, traînant derrière lui tout ce qu'il y a de clivages, de séparations et de distinctions entre les êtres humains. On peut parler de choses graves avec légèreté. Personnellement, c'est par la littérature et le cinéma que j'ai découvert des envies quand j'étais jeune. Je trouve humblement que c'est le travail de gens qui, comme moi, n'ont pas de vrai métier, de jouer à leur mesure le rôle de lien social. En ce moment, il y a une vraie raison d'écrire et une vraie raison de filmer. Et il y a plusieurs façons de le faire: on peut dénoncer ou on peut «donner envie de». Moi, j'ai choisi la seconde. Je crois qu'on peut parler de différence, de toutes les différences, dans le cadre d'une comédie ou avec une légèreté volontaire. En me mettant à l'écriture d'un roman cette année, je me suis demandé: qu'est-ce qui est le plus important ? Que les gens lisent 400 pages en se demandant: «Qui a tué qui ou qui aime qui?» J'ai préféré que les gens se demandent: «Qui aime qui?» Je n'ai pas eu l'impression qu'on avait besoin de moi pour savoir «Qui a tué qui?».

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Une fille comme elle. Marc Levy. Robert Laffont. 370 pages.

IMAGE FOURNIE PAR ROBERT LAFFONT

Une fille comme elle