L'auteure Joanna Goodman garde un souvenir limpide de ce soir de référendum au Québec, en octobre 1995. Alors journaliste pour l'agence Reuters, elle couvrait la soirée référendaire du camp du Non. Après l'annonce des résultats définitifs, elle sort et fait face au grabuge qui a cours, rue Sainte-Catherine.

«J'ai vu ce jeune gars, il avait peut-être 18 ans, qui s'est fait arrêter par la police. Et il criait: c'est pas fini, c'est pas fini! Je n'ai jamais oublié ça», dit-elle.

Cette image, qui illustre parfaitement les tensions qui ont déchiré le Québec à travers toute son histoire, elle en a fait la matière première d'un roman, The Home for Unwanted Girls. L'ouvrage vient tout juste de paraître en français, sous le titre La fille de Maggie.

Joanna Goodman connaît bien le Québec, où elle est née. Avec son mari, un francophone, elle a choisi de quitter la province après le référendum de 1995. La famille a refait son nid à Toronto. Issue d'une famille biculturelle, les tensions linguistiques, elle connaît bien.

«Ma mère a vécu ça, et moi aussi. Elle avait une boutique sur Saint-Denis, dans un milieu très francophone. Moi, je parle avec un accent. Dans les années 90, il y avait une certaine tension. C'était perceptible.» 

«Dans ma famille, avec les anglophones, j'étais vue comme une francophone, et les francophones me voyaient comme une Anglaise!»

Le personnage principal du roman, Maggie, est d'ailleurs largement inspiré de la mère de Mme Goodman, née d'une mère francophone et d'un paternel anglophone. À la suite d'une relation avec un amoureux francophone, la Maggie du roman aura un enfant illégitime, Élodie, qui sera donnée pour l'adoption dès sa naissance. Élodie deviendra l'un des milliers d'orphelins de Duplessis, qui, d'un trait de plume, deviendront des malades mentaux dans les orphelinats gérés par les communautés religieuses.

Les raisons de la révolte

L'auteure nous replonge dans les Cantons de l'Est des années 50, où francos et anglos se côtoient de très près. Les francophones sont vus comme des ignorants, des porteurs d'eau par les anglos, ce qui suscite un sentiment de révolte de plus en plus perceptible à mesure que les années s'écoulent.

«Mon but, c'est de décrire cette situation sans qu'on sente de parti-pris», explique Mme Goodman. Mais au fil de sa recherche, qui s'est échelonnée sur 20 ans, elle dit avoir saisi les raisons qui pousseront une partie des francophones vers le mouvement souverainiste. «Je ne voulais pas me séparer, mais je comprenais.»

Encore aujourd'hui, ces aspirations historiques du Québec sont très mal comprises au Canada anglais, estime-t-elle. «Les Canadiens anglais connaissent davantage la situation des Afro-Américains que celle des Québécois. Ils connaissent mieux les raisons historiques de la révolte des Noirs aux États-Unis que celles des Québécois», estime-t-elle.

Quand elle a commencé son nouveau livre, l'auteure avait le projet de pondre une grande saga historique sur le Québec, qui irait des années Duplessis jusqu'au référendum de 1995. Elle a réduit ses ambitions pour ce premier livre, mais compte tenu de l'intérêt soutenu de son éditeur américain, ce grand projet verra finalement le jour en deux tomes.

«Quand j'ai terminé le livre, j'ai dit à mon éditrice : c'est vraiment canadien comme livre. Et pas juste canadien, québécois. Il y a du français, c'est l'histoire du Québec, je ne peux pas changer et situer ça à Indianapolis, explique-t-elle. Et après l'avoir lu, elle m'a dit qu'elle voulait que je continue dans un autre livre! Ça m'a beaucoup surprise! Le livre fonctionne très bien aux États-Unis et au Canada anglais.»

La fille de Maggie. Joanna Goodman. Guy Saint-Jean Éditeur. 404 pages.

Image fournie par Guy Saint-Jean Éditeur

La fille de Maggie