Le festival Metropolis bleu remet un prix cette année à la journaliste argentine Leila Guerriero. Celle qui écrit pour plusieurs publications croit que, face aux réseaux sociaux et aux fausses nouvelles, les médias doivent revenir aux bases du journalisme.

Leila Guerriero se dit «optimiste» quant à l'avenir des médias, mais la grande journaliste argentine croit que, pour survivre, ils doivent revoir leur façon d'informer. 

«Notre seul objectif doit être de toujours faire du meilleur journalisme. Dans les médias, tout doit être plus rapide et plus court, ce qui, à mon avis, correspond à un manque de respect face au public. Faire vite et court, c'est se tirer une balle dans le pied», soutient la rédactrice en chef du magazine mexicain Gatopardo pour l'Amérique latine et collaboratrice au quotidien espagnol El País.

Lauréate du prix Metropolis Azul cette année, elle en sera vendredi à sa toute première visite au Canada, mais elle pense que la crise des médias est la même partout. 

«C'est une crise généralisée. L'idée que tout citoyen peut être journaliste parce qu'il possède un cellulaire est fausse. Le journaliste est un professionnel qui sait chercher l'information, vérifier ses sources et donner plusieurs points de vue sur une histoire. Pour faire vite, les médias tombent parfois dans les fausses nouvelles. Quand ça arrive, on creuse notre tombe. Nous devons réfléchir et nous concentrer sur les véritables objectifs de notre métier.»

Face aux réseaux sociaux, l'omniprésence de l'opinion dans les médias n'est pas une solution non plus, selon elle. 

«Il y a un excès d'opinions et un manque de nouvelles. Dans certains médias, on peut avoir deux articles de nouvelles pour dix d'opinion. En littérature, aussi, l'autofiction domine.

«On vit à une époque très narcissique, dans une agora désordonnée, voire cannibale. En Argentine, en ce moment, on discute du droit à l'avortement. Tout le monde crie, personne n'écoute. Ce n'est plus un débat.»

Une histoire simple

Le journalisme tel que le conçoit Leila Guerriero peut donner de magnifiques résultats, comme dans son récit Une histoire simple, publié l'an dernier en français. Cette non-fiction raconte la vie de Rodolfo González Alcántara, un artiste de malambo, danse traditionnelle argentine spectaculaire reliée à la réalité des gauchos, ces cowboys des plaines argentines.

«J'étais fascinée par l'histoire de Rodolfo, mais parfois, il me faisait perdre patience. Sur scène, il était un dragon, une personne avec de la grâce, élégante, séduisante. Mais la façon dont il parlait de sa vie et de son art, c'était fort peu intéressant. Jusqu'à ce que je me rende compte que l'intérêt, c'était la différence entre la scène et la vie. Comme journaliste, je ne pouvais pas inventer quelque chose qui n'existait pas.»

Cet homme humble, croyant, qui n'a pas toujours mangé à sa faim, est devenu champion de malambo en 2012, lors du «célèbre» Festival de Laborde, petit village de 6000 âmes. La première fois que la journaliste l'a vu danser, elle a été «ensorcelée». En une danse de cinq minutes, Rodolfo est passé d'ouvrier à célébrité. Rien à voir, toutefois, avec les vedettes de la téléréalité.

«À la télé, il arrive peu souvent que les gens vivent 15 minutes de gloire grâce à une pratique qu'ils ont développée pendant toute une vie. Rodolfo ne voulait pas 15 minutes de gloire, sinon être le roi parmi les siens. Une victoire à Laborde place le vainqueur dans une catégorie à part, il devient un immortel. C'est unique et très prestigieux. Le but de Rodolfo n'était pas d'être reconnu dans la rue comme les gens qui font de la téléréalité.»

Folklore

Quand elle a commencé à s'intéresser à ce sujet, Leila Guerriero ne connaissait ni Laborde ni le malambo. L'Argentine possède plusieurs festivals folkloriques reconnus, mais rien qui ressemble à celui de Laborde.

«C'est un horrible petit village ennuyeux. Les festivals de folklore en Argentine ont en général un côté très conservateur et nationaliste. Ce qui ne veut pas dire que tous ceux qui y participent le sont. Parmi ceux que j'ai rencontrés à Laborde, plusieurs sont très patriotes, ce qui est plutôt rare dans notre pays.»

La pratique du malambo exige le respect de la tradition, du temps et de la persévérance. C'est presque une vocation. 

«Rodolfo est très religieux, mais ce n'est pas là qu'il puise sa force. Il a toujours eu, en lui, la conviction de ce qu'il pouvait et allait faire. Il n'a jamais étudié autre chose que cette danse. Quand je pense à lui, je vois le film Billy Elliot

Dans une rencontre publique organisée par Metropolis Bleu, Leila Guerriero s'entretiendra avec Ingrid Bejerman vendredi, à 19 h, à l'Hôtel 10.

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Une histoire simple. Leila Guerriero. Christian Bourgois. 144 pages.

image fournie par les Éditions Christian Bourgois

Une histoire simple