Yvon Rivard nous livre avec son sixième roman, Le dernier chalet, une magnifique réflexion sur sa perception du monde, de la vie, de la mort. Rien qu'on ne puisse définir toujours et tout ce qui n'arrêtera jamais.

Yvon Rivard est un sédentaire à la pensée hyperactive. Une chance qu'il ne bouge pas trop. Il a ainsi pu créer une oeuvre multiple comme professeur de littérature, romancier, essayiste, scénariste.

Le titre prosaïque de son sixième roman, Le dernier chalet, occulte un fleuve de réflexions. Le livre autobiographique clôt sa tétralogie entreprise il y a 32 ans avec Les silences du corbeau.

«Ça reste quand même de la fiction, raconte-t-il. L'essence même de la fiction, c'est comment on perçoit le réel. Si j'invente un personnage à partir d'une personne que je connais, je le fais avec ma perception. On est déjà dans la distance. Yourcenar l'a bien défini: "Quand on parle de soi, on parle de ce qu'on a été, de ce qu'on pense qu'on a été et de ce qu'on aurait voulu être." Écrire un roman, c'est raconter l'histoire de quelqu'un comme si c'était la nôtre, et la nôtre comme si c'était celle d'un autre.»

Son alter ego, Alexandre, est au crépuscule de sa vie. Il se remémore, se projette, aime et rêve. Il est cette âme réfléchissante sur les replis de l'infini comme coule le fleuve devant lui. Toujours le même fleuve, jamais la même eau. Yvon Rivard a dû pondre sept versions de son roman avant d'y arriver.

«C'est la somme de 40 ans d'écriture. L'ensemble des bibittes, problèmes, pensées, dilemmes du personnage. Il y a beaucoup de questions. La plus grande étant celle de l'approche de la mort. Elle était cachée dans les livres précédents par des histoires amoureuses; là, elle est centrale: qu'est-ce qu'on fait pour apprendre à mourir?»

Émotion

Ce n'est pas l'intrigue qui prime, mais la pensée inspirée par les gestes du quotidien, le «monde tactile» et, surtout, l'environnement, les arbres, un renard curieux et le fleuve «qui nous aide à passer dans le temps».

«L'émotion que je travaille est celle de la peur et même du désir d'arriver à quelque chose qu'on ne connaît pas. Comment on consent au lointain? Pour vivre pleinement, comme disait Carlos Castenada, il faut voir que "la mort est notre compagne qui se tient à une longueur de bras sur notre gauche". 

«Ce n'est pas morbide de vivre toujours avec la pensée de la mort, car on apprend à vivre chaque instant. Chaque instant contient tout le passé et le futur qui vient. C'est complet. Je suis convaincu que si on vit chaque instant, lorsque la mort surviendra, on n'aura pas l'impression d'avoir manqué quelque chose.»

Comme l'amour, par exemple. À la campagne, avec une compagne plus jeune que lui, Alexandre a transcendé le simple désir. Dans les romans précédents, il n'arrivait pourtant pas à choisir entre deux femmes qu'il aimait également.

«On est dans l'après-désir ou, encore, le désir le plus grand, celui qu'il vit avec Marguerite. Dans le contexte où il se trouve, ce sont des gens ou des lieux qui le mettent en relation avec "l'être". L'amour n'est plus un désir de posséder ou de fusion. L'amour nous met en relation avec ce qui, tout le temps, nous échappe. L'amour qui dépasse le désir est infini. Il ne peut plus mourir.»

Éternité

L'image de Dieu est justement évoquée à quelques moments dans ce roman où les peurs et le doute restent pourtant omniprésents. L'âme du personnage principal flotte parfois en dehors de son propre corps.

«Mon personnage a la foi sans être croyant. Dieu, ça ne résonne pas pour moi. La foi, c'est faire partie d'un mouvement qui va vers l'inconnu sans présumer de rien. C'est croire qu'il y a quelque chose qui nous échappe. Si je peux penser le monde, le monde est une pensée. J'aime le mot divin, c'est un work in progress. Dès l'instant où l'on veut figer Dieu dans une croyance, ça donne les religions, les guerres.»

Gabrielle Roy a aussi inspiré le romancier. Yvon Rivard aime particulièrement Cet été qui chantait de l'auteure manitobaine qui a fini sa vie tout près du Saint-Laurent. Pour écrire, il faut lire, et Yvon Rivard relit souvent ses auteurs favoris, dont Saint-Denys Garneau, qui lui a prêté, sans le savoir, un titre de travail: «C'est là sans appui que je me repose».

Le dernier chalet ne sera pas le dernier livre de son auteur, mais le combat des idées demeurera le sien jusqu'au bout, les idées en mouvement même dans la chute. À une époque où «le fait de penser est devenu suspect».

«Écrire, penser, ça demande du temps, même du temps perdu, de l'oisiveté, lorsqu'on vit dans une chaîne de montagnes sous le règne des administrateurs. On codifie et on contrôle tout. Le propre de la pensée littéraire est plutôt un mélange d'émotion, d'intuition et de rêve. L'enseignement de la littérature est tellement codifié aujourd'hui que je ne pourrais même pas passer les examens», rigole-t-il.

Il lui reste l'écriture pour continuer de penser librement et foutre le bordel dans les petites et les grandes cases de la modernité.

Yvon Rivard participera à la table ronde Raconter, imaginer, vieillir le 29 avril dans le cadre du festival Metropolis bleu.

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Le dernier chalet. Yvon Rivard. Leméac. 208 pages.

Image fournie par Leméac

Le dernier chalet