Dans Libérer la colère, un livre collectif, plusieurs femmes ont pris le clavier pour parler de ce sentiment encore difficile à assumer au féminin. Parmi elles, l'animatrice Pénélope McQuade. Nous l'avons rencontrée.

D'abord, il faut préciser que ton texte a été écrit avant la vague #moiaussi.

Oui, les deux auteures m'ont contactée à l'époque du livre Les superbes de Léa Clermont-Dion et Marie-Hélène Poitras. J'avais aussi consacré un épisode à la colère dans ma série de balados sur le féminisme, «Parce qu'on est en 2016». J'avais déjà un intérêt pour ce sujet auquel les féministes réfléchissent depuis longtemps. Dans le livre, j'ai donc raconté un épisode que je venais de vivre à l'époque. Un été, il y a deux ans, et pendant quelques semaines, j'ai vraiment été sous l'emprise de bouffées de rage. Je passais de 0 à 100 en quelques secondes. Mon premier réflexe a été de me dire: «C'est hormonal, c'est la ménopause!» Je suis allée voir mon gynécologue qui m'a dit: «T'es pas en préménopause, t'es juste en criss.» [rires] Ça m'a fait du bien de me le faire dire. Depuis, même si mes «bouffées de colère» ont passé, j'essaie de mieux apprivoiser la colère que je peux ressentir pour différentes raisons au quotidien.

Dans Libérer la colère, on retrouve plusieurs textes en lien avec #moiaussi. Est-ce que tu ressens cette même colère depuis la vague de dénonciations de l'automne?

C'est vrai qu'il y a beaucoup de colère qui gronde dans ce livre. Mon texte à moi arrive presque comme un «comic relief». Il est en décalage aussi. C'est étrange: au cours des dernières années, je n'ai jamais hésité à réaffirmer mon féminisme et à parler de certains enjeux qui touchent les femmes, mais on dirait que depuis le mois d'octobre, je ne sais pas quoi dire, quoi ressentir. J'ai refusé plein de tribunes sur lesquelles m'exprimer. Je ressens beaucoup de tristesse à cause du nombre de dénonciations. Par contre, j'ai beaucoup de colère par rapport au backlash; je trouve qu'il est venu rapidement. On a laissé s'exprimer les femmes pendant deux mois et après, on a dit: «C'est assez!» Puis on a rassuré les hommes. Je suis en colère contre ça. Je trouve que les femmes n'ont pas eu tant de temps pour s'exprimer là-dessus et vider la question. Ce n'est pas équitable par rapport au refoulement qui a été vécu. Ce manque d'équité me met en colère.

Dans son texte «Apologie de la colère des femmes», Hélène Pedneault disait que la colère refoulée se transformait en dépression...

Je pense que la libération de la colère est un des grands enjeux en santé mentale. Prenons toute la colère qui gronde sur les réseaux sociaux et sur le web. On se parle de manière très agressive, très virulente. La mèche est extrêmement courte. On a perdu toute forme de civisme, de respect. On saute la clôture pour aller attaquer l'autre sur sa page, sur son territoire. Sous cette agressivité, il y a la colère de ceux qui ne sont jamais entendus, jamais représentés. De ceux qui payent toujours et qui sont victimes d'injustice. Si dès l'enfance, la colère était valorisée, acceptée et recadrée, si on apprenait aux gens à bien gérer leur colère, je pense qu'on aurait des petits garçons et des petites filles qui deviendraient des ados et des adultes fort différents.

Tu n'hésites pas à t'exprimer et à aborder des questions difficiles sur la place publique. Est-ce que tu crois qu'on t'a étiquetée «fille difficile» pour ça?

Probablement, mais moins qu'on pourrait le penser. Des fois, je me retrouve sur la sellette. Et des fois, je crois que mon équipe trouve que je suis sous la lumière pour des choses négatives. J'entends parfois des gens dire: «Ce serait l'fun que tu changes de cassette, que ce soit plus léger, plus funny. C'est lourd, des fois...» J'ai aussi remarqué que je perds des abonnés sur ma page Facebook quand je prends la parole sur des enjeux féministes. C'est parfait, ça veut simplement dire que mes idées et mes valeurs se raffinent et qu'il se peut que certaines personnes ne les partagent pas. Par contre, c'est certain que je me questionne systématiquement avant de prendre la parole publiquement. Pas pour me censurer, mais par peur d'un backlash.

Que fais-tu dans la vie pour évacuer la colère?

Animer un talk-show quotidien [Les échangistes], c'est vraiment intense. À part tenir un rôle principal dans une quotidienne de Fabienne Larouche, c'est pas mal ce qu'il y a de plus intense à la télé [rires]. Alors cette année, j'ai décidé de payer deux cours de yoga par semaine à mon équipe, question de se retirer du crockpot et de faire autre chose ensemble.

Qui devrait lire Libérer la colère?

J'aimerais ça que les gars le lisent. Pour démystifier ce qu'est la colère féminine. Et pour voir que cette colère n'est pas toujours tournée vers eux. Et qu'en fait, ils n'ont souvent rien à voir avec ça.

Une auteure qui soulève... la colère

Le livre Libérer la colère devait sortir en librairie le 13 mars dernier. Mais le premier tirage - environ 1000 exemplaires - a plutôt fini au pilonnage. Pourquoi? Parce qu'une des auteures a été dénoncée par d'autres auteures du collectif comme étant une «harceleuse» et une «agresseure». Une campagne virulente s'est ensuivie dans les réseaux sociaux et la page Facebook des Éditions du remue-ménage, qui publie des ouvrages féministes depuis plus de 40 ans, a été littéralement assaillie.

«Après réflexion, et devant l'ampleur et l'unanimité des accusations provenant de plusieurs milieux, nous avons décidé de retirer les deux courts textes de cette personne et de réimprimer le livre, explique Anne Migner-Laurin, éditrice chez remue-ménage. On ne peut pas remettre la parole des victimes en question.»

Le livre est finalement sorti en librairie hier.

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Libérer la colère. Sous la direction de Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy (Avec des textes de plusieurs femmes, dont Cathy Wong, Aurélie Lanctôt, Yolande Cohen, Dalila Awada et Melissa Mollen Dupuis). Les Éditions du remue-ménage, 208 pages.

Image fournie par les Éditions du Remue-ménage

Libérer la colère, sous la direction de Geneviève Morand et Natalie-Ann Roy