En quelques mois, France Théoret a publié un recueil de poésie, Cruauté du jeu, et un roman, Les querelleurs. Elle y explore de nouveaux sujet, avenues et formes. Mais toujours avec l'oeil alerte de la femme et de la militante.

Impossible de rencontrer France Théoret sans lui parler du phénomène des dénonciations de sévices sexuels et de #moiaussi. Après les pionnières et leurs consoeurs modernes, en est-on rendus à la troisième vague féministe?

«Andrée Yanacopoulo m'a dit l'été passé: "Ne crois-tu pas que ça ressemble à ce qu'on a connu dans les années 75-80?" Je lui ai dit oui. Dans le mouvement de dénonciations en ce moment, il y a quelque chose qui avance. Le féminisme, c'est être capable de créer des solidarités à propos de ce mouvement.»

«Les femmes qui osent faire ça sont courageuses. Dans Nécessairement putain en 1980, je traitais de viols, d'agressions, de la domination du corps des femmes. Là, ça sort, c'est dit. Et, surtout, on sait que si on ne le fait pas, on n'avancera pas. Ça vient de tous les continents, c'est impressionnant.»

Les querelleurs

Son roman Les querelleurs parle des hommes. De façon étonnante chez France Théoret, ils occupent toute la place: un auteur et son éditeur en procès, leur avocat respectif et le juge. Ces hommes pensent et parlent, pétants d'orgueil, de prétention et de mépris, mais la narration reste omnisciente.

«Je voulais faire quelque chose que je n'avais jamais fait, aller dans un coin de ma pensée pour voir ce que je pourrais en dire. Je trouve de nos jours que tout le monde juge tout le temps. Les gens sont toujours en train de passer des jugements.»

Le procès dans le roman donne lieu à un duel d'ego, pour ne pas dire une guerre. Au-delà de la colère, cependant, ce combat est une lutte d'apparences.

«On entend constamment des gens dire qu'ils sont transparents. Pour moi, c'est hypocrite, c'est tordu. On parle toujours d'identité, mais on ne vit pas pour son identité. On dit comprendre le psychisme humain alors que sa densité empêche de le comprendre.»

L'éditeur se dit généreux avec ses auteurs, mais il traite de psychopathe celui qui l'attaque en justice. L'auteur se croit génial, mais on croit, par moments, qu'il s'approche davantage de la folie.

«Ils ont le sentiment que le monde leur appartient. Ces gens-là se croient très évolués, mais on s'aperçoit de leur hypocrisie, de la poudre aux yeux qu'ils lancent tout le temps. Nous vivons là-dedans.»

Cruauté du jeu

Dans son recueil Cruauté du jeu, elle appelle à «l'insurrection nouvelle». Le titre lui est venu d'Artaud. «Je suis née à la littérature avec son Théâtre de la cruauté», rappelle-t-elle.

Le recueil s'ouvre avec une réflexion entreprise il y a quelque temps sur l'art poétique. Elle a travaillé ce poème-essai en pensant à Pol Pelletier.

«Je suis toujours en train de m'expliquer ce qu'est la poésie maintenant. C'est une question d'époque. On n'en discute pas entre poètes. Qu'est-ce qu'on fait, qu'est-ce qu'on veut défendre? J'ai besoin de m'expliquer ce que je fais.»

Ce qu'elle fait, c'est d'explorer les questions du social, de la politique et de l'anthropologique. Elle oeuvre là où la poésie rejoint l'essai. Quand l'intime devient la lutte.

«On n'a pas fait ce travail et cette démarche féministes pour ne pas changer la culture ambiante. Quand on parle de parité hommes-femmes, c'est pour inviter les femmes à devenir des hommes à leur tour.»

La deuxième partie du livre traite du cancer qui l'a attaquée, mais qui ne l'a pas empêchée de relever la tête aujourd'hui. «Je suis contente d'avoir écrit ce poème. La maladie a changé des choses dans ma vie. Des barrières sont tombées, même si j'aurais préféré ne pas passer par là.»

Le livre se termine sur le thème «Ma mère la folie». La poésie de France Théoret a toujours arpenté le chemin entre raison et déraison.

«Ce long poème, j'aurais pu l'écrire plusieurs fois dans ma vie. On n'écrit pas assez sur la folie. Dans mon roman, c'est la rationalité pure qui triomphe, mais la folie, ce n'est pas doux ni simple. C'est violent et ravageur. On parle souvent de santé mentale, mais on n'entre jamais dans l'intimité de la folie.»

Un grand sujet. À la hauteur d'une grande artiste.