Je n'ai pas un problème avec les femmes. Ce sont les femmes qui ont un problème avec moi. Ainsi parlait le rockeur français et icône de toute une génération Bertrand Cantat. C'était après la mort de Marie Trintignant à Vilnius en 2003, mais avant le suicide en 2010 de Kristina Rady, dernière conjointe de Cantat et mère de ses deux enfants. Son interlocuteur, un des musiciens de Noir Désir, fatigué de se taire, a relayé ses propos à Anne-Sophie Jahn, journaliste au Point. Celle-ci les a notés pour le livre qu'elle était en train d'écrire sur les excès du rock et sur l'affaire Cantat.

«Quand l'avocat de Cantat a su que je préparais un livre sur son client, il m'a menacée d'une poursuite. Or, une poursuite allait peut-être entraîner une injonction et suspendre la publication du bouquin. Je n'ai pas voulu prendre ce risque», me raconte Anne-Sophie Jahn, une blonde de 32 ans, née à Paris et de passage à Montréal pour le lancement de son livre Les sept péchés capitaux du rock, qui a finalement été publié.

Reste qu'il y a trois mois, craignant que les nouveaux faits sur l'affaire qui n'étaient parus ni dans Paris Match ni dans Voici ne sortent jamais, Anne-Sophie Jahn a décidé que si le livre pouvait attendre, ce n'était pas le cas de l'enquête journalistique, qu'elle s'est empressée de rédiger. 

L'enquête a paru dans le numéro du Point du 30 novembre 2017 et a fait grand bruit. On y apprenait que Kristina Rady avait subi les violences de Cantat bien avant les événements de Vilnius et cela, en dépit du fait qu'elle ait juré à son procès que Cantat n'avait jamais levé la main sur elle. 

Le musicien de Noir Désir y racontait le climat de terreur dans lequel Kristina baignait depuis que Cantat était revenu vivre avec elle. L'amant de Kristina évoquait le chantage émotif que cette dernière subissait de la part de Cantat et un témoin oculaire relatait les cris, hurlements et disputes dans la maisonnée.

Bref, le portrait était accablant. Beaucoup plus, en fait, que dans Les sept péchés capitaux du rock, où le chapitre intitulé «Bertrand Cantat: l'histoire la plus sordide du rock français» fait 20 pages et semble plein de trous.

«J'ai malheureusement été obligée de modifier le récit pour des raisons légales. Ce ne sont pas les mêmes droits qui régissent les livres et les journaux en France. Les journalistes de presse sont plus protégés que les auteurs à cet égard», explique la journaliste.

Excès et abominations

L'affaire Cantat est la pièce de résistance d'un bouquin qui, par ailleurs, ressemble à un florilège des pires excès et abominations commis par des rock stars surtout anglo-saxonnes. Hormis Cantat et Nicolas Ker, les rockeurs français sont absents du livre. «Parce que le rock est avant tout issu de la culture anglo-saxonne», se justifie la journaliste.

Mais encore. Lire les horreurs perpétrées au nom de la transgression rock'n'roll - les télés balancées par les fenêtres, les toilettes arrachées, les chambres d'hôtel démolies, les femmes réduites à l'état végétatif de groupies aussi vite baisées que jetées, la drogue consommée en quantités industrielles, les virées meurtrières des rappeurs armés pour la guerre -, tout cela dégoûte, écoeure et donne parfois envie de vomir. Quel but visait donc la journaliste en nous décrivant dans le détail le comportement barbare des musiciens de Guns N' Roses, Oasis, Blur, Mötley Crue, Marilyn Manson, et j'en passe?

«Les excès du rock sont beaucoup liés aux années 70. Or, on avait l'impression que tout cela, c'était du passé. Mais rien n'a changé sinon que les rock stars ont une vie privée, protégée juridiquement, qui donne l'illusion qu'elles sont plus sages et raisonnables. Mais c'est le contraire, l'excès est revenu à la mode. Même qu'il est pire qu'avant.»

«Ça mérite qu'on l'écrive. Mais attention: je ne m'érige pas en objecteur de conscience. Je ne suis pas une mère vertu qui veut bannir la transgression même si des fois, en rédigeant le livre, moi aussi, j'avais envie de vomir.»

Ce que souhaite la journaliste avec ses Sept péchés capitaux, c'est d'ouvrir les yeux du public qui vénère des artistes qu'il vénérerait moins s'il savait ce qu'ils font en coulisses.

«Ces histoires existent et en tant que journaliste, je dois les raconter. Pourquoi les cacher? Dans le milieu, tout le monde sait ce qui se passe, mais préfère perpétuer l'omertà. Moi, raconter les coulisses sordides du rock, ça me fait du bien. C'est cathartique. Le milieu est par définition macho et misogyne. Or, avec le mouvement #metoo, c'est le moment où jamais de redéfinir le modèle et d'espérer changer les choses.»

Un vent de changement souffle peut-être, mais dans quelle direction? Chose certaine, ce vent pour l'instant épargne Bertrand Cantat, qui entame demain une mégatournée dans une trentaine de villes en France. Plusieurs concerts affichent déjà complet pour une tournée baptisée Amor fati. L'amour du destin. À l'évidence, le destin de Bertrand Cantat est moins noir que celui des femmes de sa vie.

Les sept péchés capitaux du rock

Anne-Sophie Jahn

Flammarion, 320 pages

Image fournie par Flammarion 

Les sept péchés capitaux du rock d'Anne-Sophie Jahn