L'amour ne peut pas tout. Devant l'indétectable mort intérieure d'un être cher, l'on ne peut qu'apprendre à faire son deuil. Tôt ou tard. Ce n'est qu'une des nombreuses leçons de vie comprises dans le troisième roman de Sylvie Drapeau, L'enfer.

Après Le fleuve, Le ciel, voici L'enfer. Votre troisième roman parle aussi de vos morts, de vos deuils. Celui-ci est particulièrement douloureux, le suicide de votre frère Richard qui laisse la narratrice devant énormément de questions. 

C'est un livre sur la schizophrénie et l'amour aussi, je crois. Ça se passe sur sept, huit ans, contrairement aux autres. C'est un pauvre fou. Il a complètement déraillé.  

L'une des pistes de réponse à ce suicide, c'est la mort de la mère qui l'a bouleversé.

La santé de son esprit a commencé à se détériorer à la mort de celle qu'il appelait son alliée. Sans elle, c'était plus difficile pour lui de rester du côté de la raison.

C'était un être doux, ultrasensible, peut-on dire?

Il avait une fragilité, c'est certain. Mais tout est vrai et faux dans un roman. La vérité se trouve peut-être ailleurs. La narratrice se demande aussi s'il n'était pas dangereux pour Richard de choisir des études, la comptabilité, qui ne lui correspondaient pas, et ce, pour épater le père. Mais je ne prétends pas connaître la vérité. Je l'ai vécue, observée et sentie. C'est ce qui traverse cette famille, la meute, l'horreur que représente la maladie mentale.

Parmi les questions les plus douloureuses, on se demande si on a assez, beaucoup ou mal aimé ce frère fragile.

Oui, mais, au fond, pourquoi tient-on autant à garder les gens du côté des vivants? Les gens meurent, c'est la réalité. Pourquoi la mort est-elle nécessairement vue comme un échec? Ne peut-on pas juste accepter la vie quand elle est là? Puis, quand c'est fini, c'est fini.

Le suicide est vu comme un échec dans la société.

Le deuil fait partie de la vie. Parler des morts, ce n'est pas à la mode, mais c'est universel. Écrire, c'est ouvrir la parole face au deuil qui fait partie de notre humanité. Le suicide, c'est terrible, mais était-ce un suicide? Le livre commence par un rêve que j'ai fait où j'apprends à mon frère sa mort. Il était très peu dans sa propre mort. Le vrai Richard n'était plus là. Pendant huit ans, on l'a retenu du côté des vivants, puis on l'a échappé. Peut-être qu'il en avait marre depuis longtemps de sa vie d'enfer.

Ces romans sont, dans le fond, les chapitres d'un plus grand livre qui se serait appelé Le fleuve.

Sans la noyade originelle de Roch, la première mort, on n'aurait jamais pu savoir ce qu'il serait advenu de la mère, du frère et de la soeur. Tout vient du fleuve. Tout prend sa source dans la première tragédie.

Vous dites avoir vécu ces morts, mais il ne s'agit pas de récits autobiographiques pour autant?

C'est tout ce que j'ai vécu, mais c'est ma vision sur le sujet. Quand j'ai lu Le fleuve à mes soeurs, la plus jeune a dit: «C'est nous, mais c'est pas nous.» Ça, c'est un roman. Les événements, on les a tous vécus, mon frère Roch s'est vraiment noyé sous nos yeux quand j'avais 5 ans. Ma façon de regarder tout ça est une sculpture, c'est un regard. À propos des mêmes événements, on pourrait avoir des centaines de regards différents. L'art, c'est toujours un regard neuf. Est-ce que je serais devenue comédienne si je n'avais pas vécu tout ça?»

L'enfer sort en librairie le 7 février.

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L'enfer. Sylvie Drapeau. Leméac. 95 pages.

Image fournie par Leméac

L'enfer